Mérule: kit de survie du diagnostiqueur

Par Me Damien Jost, avocat au barreau de Paris.

Le cabinet Damien Jost est spécialisé dans le domaine de l’immobilier. L’avocat est aussi un fin connaisseur du diagnostic immobilier, profession qu’il défend et accompagne depuis plus d’une quinzaine d’années.

Bon an mal an, la mérule reste une menace majeure pour le métier de diagnostiqueur immobilier. Surtout dans le Nord-Ouest de l’hexagone (même si cet agent peut frapper partout). Chaque année, ce fléau génère d’importantes pertes financières pour l’assureur.

Comme chacun le sait, une infestation mérule ne se traite pas facilement et peut obliger à quitter les lieux, au moins de façon momentanée. L’étude des sinistres démontre que l’opérateur ne se protège pas assez (ou, pire encore, qu’il se croit protégé, soit par la norme appliquée, soit par le rapport rédigé).

“Aux yeux du juge, le diagnostiqueur se doit d’abord d’assumer, face à un risque avéré, un rôle de lanceur d’alerte”

Or cette croyance demeure fragile. L’opérateur ne fréquente guère les tribunaux, de sorte qu’il est généralement peu familiarisé avec leurs exigences. Aux yeux du juge, le diagnostiqueur se doit d’abord d’assumer, face à un risque avéré, un rôle de lanceur d’alerte. Vaste programme diront certains, tandis que d’autres s’indigneront de voir la justice s’éloigner, apparemment, du contenu de la norme technique.

En réalité, l’objectif assigné au diagnostiqueur demeure largement accessible. En effet, les sinistres démontrent qu’il aurait suffi, la plupart du temps, de quelques mots pour se mettre en sécurité, à la condition, naturellement, qu’une recherche sérieuse ait été menée sur site.

Voyons d’abord où se portent les critiques du magistrat, puis tentons d’identifier des remèdes efficaces à la lumière de la jurisprudence. Les critiques concernent généralement le devoir de conseil, qui sera jugé comme insuffisamment rempli.

Pour comprendre, donnons la parole au juge. Examinons un premier cas (CA RENNES, 20 mars 2008 : RG 06/04251).

L’opérateur a effectué une recherche intensive, puisque son rapport (du type « constat parasitaire ») énonçait, au chapitre « constatations diverses », pas moins de quatre remarques d’importance inégale, à savoir :

La première concerne la petite vrillette; la deuxième concerne la grosse vrillette; la troisième précise que le bois n’est attaqué par la grosse vrillette que lorsqu’il a été préalablement dégradé par un champignon lignivore; la quatrième concerne des traces de pourriture cubique visibles sur les dormants de fenêtres dans la salle à manger, sur la porte du placard de cette salle et sur le dormant de la porte fenêtre de la quatrième chambre au premier étage.

Comme on le voit, l’information « pourriture cubique » n’arrive qu’en quatrième position, comme si elle n’était pas, et de loin, la plus grave (ce qui montre l’importance de la « hiérarchisation » de l’information : un danger majeur se doit d’être signalé sans attendre, si possible dès les premières lignes du rapport).

“Le juge s’est étonné que le risque mérule (à tout le moins le risque d’une infestation fongique grave) ne ressorte pas du rapport”

Aussi, la responsabilité du diagnostiqueur a été retenue, au motif que celui-ci n’a pas su faire état de l’existence d’un « risque sérieux [de présence fongique] » :

Mais pour autant la société X, qui avait été alertée sur la présence d’agents biologiques du bois pour avoir constaté la présence de dégradations dues à un champignon lignivore ainsi que la présence de pourriture cubique qu’elle savait être la manifestation d’une attaque de champignons de type basidiomycète, n’a pas attiré l’attention des lecteurs profanes de son rapport sur le risque sérieux qui existait que le champignon soit également présent dans les parquets recouverts et par suite non visibles et non examinés et ne leur a pas conseillé de faire poursuivre leurs investigations dans cette direction.

Illogique ? Le juge s’est étonné que le risque mérule (à tout le moins le risque d’une infestation fongique grave) ne ressorte pas du rapport, ni par les mots employés, ni même par la mise en page et/ou la typographie (gras, etc.). C’est donc la formulation confuse du rapport qui a desservi son auteur.

De plus, le juge a noté que la couleur rouge a été employée, mais pas à bon escient (c’est-à-dire pas pour dire le risque, mais pour apporter des précisions sans importance réelle – au plan pratique – pour le futur propriétaire des lieux) :

Au lieu de cela, ce qui est mis en évidence par l’emploi de la couleur rouge et qui attire donc l’attention en dernière page du rapport, c’est le dernier paragraphe indiquant que l’état parasitaire est un constat et non une expertise, que le diagnostic ne porte pas sur la résistance mécanique des bois et matériaux et que le diagnostic n’est réalisé que sur les bois visibles et accessibles de l’intérieur du bâtiment.

Tentons à présent d’apporter des remèdes à ces lacunes rédactionnelles. A cet égard, une autre décision se révèle fort utile (CA RENNES, 8 juin 2021 : RG 19/03359) : vente précédée d’un diagnostic (du type « constat parasitaire ») signalant, entre autres, des indices d’infestation fongique (pourriture fibreuse, etc.), et recommandant, par suite, des investigations complémentaires.

L’acquéreur a néanmoins cru devoir mettre en cause le diagnostiqueur, considérant que celui-ci n’avait pas su remplir son devoir de conseil.

“Ce qui compte c’est la clarté du message (une phrase courte et simple suffit)”

Bien au contraire, selon les juges, l’opérateur a su trouver les mots pour alerter le lecteur :

Quant à l’obligation d’information, aucun manquement ne peut être retenu à l’encontre de la société X, laquelle a émis en caractères gras des recommandations d’ordre général relatives au risque d’attaque fongique en présence d’un taux d’humidité important dans les maçonneries après avoir indiqué que les relevés d’humidité dans la maison avaient montré des valeurs supérieures à la normale. Elle a également émis des recommandations particulières en indiquant notamment “qu’il serait prudent de remédier à ces désordres dans les meilleurs délais” […].

Voici comment furent formulés quelques-uns des conseils émis par l’opérateur :

Comme on le voit, quelques mots, bien mis en valeur, auront ainsi suffi à protéger l’opérateur (même si l’on peut, aussi, remarquer la mise en page, tout comme l’emploi judicieux – et fort modéré – des caractères gras).

En somme, point n’est donc besoin de multiplier les phrases ni les effets « fluo ». Ce qui compte c’est la clarté du message (une phrase courte et simple suffit). S’il est de coutume de dire « à bon entendeur, salut ! », on peut sans doute, lorsqu’il s’agit de réfléchir à la sécurité du diagnostiqueur, remplacer le terme « entendeur » par celui de rédacteur.

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