Pour la Cour des comptes, la réforme du DPE n’était pas à la hauteur de l’enjeu

Le DPE n’en finit pas de faire couler l’encre. Mais loin de jeter la pierre (uniquement) au diagnostiqueur ou au diagnostic, la Cour des comptes déplore un dispositif mal calibré au regard des enjeux. La réforme était mal embarquée dès 2021, ses impacts n’ont pas été anticipés, et l’État n’a pas joué son rôle se reposant essentiellement sur les certificateurs.

Une méthode de calcul avec ses biais, une déontologie parfois défaillante, une formation trop light, des contrôles insuffisants, et on en passe. Oui, tout ça a été dit et redit depuis trois ans. Dans un nouveau rapport empreint de beaucoup d’objectivité, la Cour des comptes ne les oublie pas.

La méthode de calcul, justement. On le sait, les diagnostiqueurs sont souvent les premiers à le dire, elle n’est pas toujours adaptée au bâti ancien. Même si l’harmonisation de la méthode avec la suppression de la méthode sur factures représente « une amélioration notable » aux yeux des sages de la rue Cambon, le résultat n’est pas toujours satisfaisant. Ce n’est pas pour autant qu’il faut supprimer le DPE dans l’ancien : les solutions alternatives, « coûteuses et lourdes à mettre en place » ne peuvent être envisagées que «ponctuellement ».

DPE, l’éternel malentendu

De même pour le DPE de complaisance, qui a tant fait parler de lui ces derniers mois. La Cour des comptes reprend l’étude menée par le CAE (Conseil d’analyse économique) selon laquelle 1,7 % de DPE « anormaux », voire « de complaisance ». Moins de 70.000 diagnostics sur les quatre millions réalisés en 2024. Mais tout n’est pas forcément de la pure complaisance.

C’est aussi parce que le DPE reste victime d’un malentendu. La Cour des comptes rappelle ce qu’il est : une estimation -par essence imparfaite- de la performance énergétique du bâti, réalisée à partir de justificatifs fournis par les propriétaires, de mesures, d’observations, et le cas échéant de valeurs par défaut. « Il paraît donc inévitable que la réalisation d’un DPE puisse être entachée d’incertitudes voire d’erreurs, lesquelles apparaissent par ailleurs majorées par le volume considérable de valeurs à renseigner. »

Le copieux rapport de la Cour des comptes remet ainsi l’église au centre du village. Est-ce que l’outil, originellement pensé pour la sensibilisation et l’information des ménages, était vraiment taillé pour l’usage que l’on en fait aujourd’hui ? « La DHUP, qui a conçu le dispositif, a souhaité mettre en place un outil à vocation généraliste, duplicable aisément, accessible au plan financier pour les ménages », rappelle l’institution de la rue Cambon. Un outil qui de surcroît devait rester bon marché. « La réalisation d’un diagnostic correspond à une prestation complexe et que le prix moyen (entre 100 € et 500 € en fonction de la taille de l’habitation) ne permet pas toujours de rémunérer le diagnostiqueur à la hauteur du temps qui serait nécessaire à l’obtention d’un résultat de qualité. »

Autopsie d’une réforme mal embarquée

Et puis la loi Climat et résilience est arrivée. L’opportunité était trop belle, le législateur et le gouvernement de 2021 ont peut-être donné à ce DPE un rôle trop important, trop vite. « D’un simple objet réglementaire technique à vocation informative, le DPE s’est dès lors, dans les faits, transformé en outil stratégique et politique aux conséquences majeures pour les particuliers et le régime de la propriété sans que les conséquences de cette transformation et de son calendrier de réalisation n’aient été clairement mesurées, notamment en termes de risque d’éviction, même temporaire, de logements du parc locatif », poursuit la Cour des comptes.

Pour l’institution de la rue Cambon, il est clair que les conséquences de la loi Climat et résilience n’ont pas été anticipées. « Un certain nombre de difficultés rencontrées par les particuliers n’ont pas été suffisamment appréhendées à l’occasion de la mise en œuvre concrète du nouveau dispositif, dans une période par ailleurs marquée par un contexte de crise sur le marché du logement. »

Des difficultés qui sont parfois nées d’un manque d’articulation avec d’autres réglementations, celle des copropriétés et de l’urbanisme notamment. « Le DPE, selon qu’il est réalisé au niveau d’un immeuble entier ou d’un lot de copropriété, peut être source d’incompréhensions. Un point de confusion potentiel pour le public concerne le DPE « individuel » qui répond à des règles d’opposabilité différentes du « DPE collectif », d’un immeuble en copropriété réalisé à partir des parties communes et de quelques logements « témoins » censés être représentatifs. »

« Aucune étude d’impact globale préalable », « aucune évaluation » sur ses conséquences éventuelles sur l’état du parc de logement locatif, « aucune phase de test », la réforme de 2021 ressemble à de l’improvisation à la lecture du rapport. Signe de cette impréparation, une étude pour mesurer le poids sur la classe finale de chaque donnée entrée dans le logiciel par l’opérateur a été lancée par l’État et l’Ademe, seulement à l’automne 2024.

L’État pas suffisamment mobilisé

S’ils ne sont pas directement cités, les gouvernements successifs depuis 2021 sont largement égratignés. Non seulement, la réforme de 2021 a été mal préparée, ses conséquences n’ont pas été anticipées, mais l’État n’a pas joué son rôle. A tous les niveaux, dans la communication d’un dispositif souvent obscure aux yeux du grand public, mais aussi et surtout dans le contrôle en très grande partie délégué aux organismes certificateurs et l’accompagnement de la filière.

La Cour des comptes s’étonne des liens existants entre les organismes de formation et les organismes de certification au sein de la filière du diagnostic. « Environ la moitié des organismes de formation et de certification auraient des liens structurels ou financiers. Ces situations de potentiels conflits d’intérêts, si elles sont avérées, pourraient nuire fortement au principe d’impartialité des examens et contrôles. »

Si l’État a poussé dans le sens de la professionnalisation depuis 2022 en réformant la certification des diagnostiqueurs, rien n’a été fait cependant pour structurer la filière. La Cour des comptes évoque toutefois la réflexion sur l’ordre des diagnostiqueurs initiée par la ministre en mars, et reprend l’idée de la carte professionnelle. « Cette absence de structuration de la filière est de nature à accentuer les risques de fraude et alimenterait, selon certains acteurs rencontrés, un manque de confiance du public renforcé par la lecture de certains articles de presse. »

Le rapport plaide donc pour une plus grande mobilisation des pouvoirs publics. « Le renforcement du rôle de l’État apparait nécessaire : outre la poursuite de son accompagnement de la filière, il lui appartient de veiller à la qualité du système de régulation actuel, reposant sur la certification par des tiers des compétences des professionnels. »

Upgrader le DPE

Le mal est fait, le DPE attaqué de toutes parts souffre d’un cruel déficit de confiance. La question est de savoir comment améliorer la situation. L’actuel gouvernement à fort à faire.

Les mesures choc annoncées par la ministre du Logement en mars, vont dans le sens des recommandations formulées par la Cour des comptes : recours à l’IA pour révéler des incohérences dans les diagnostics, création d’une filière post-bac, réflexion sur la création d’un ordre professionnel, renforcement des contrôles sur les organismes de certification, etc.

Puisque le remède est en train d’être administré, il faut désormais lui laisser le temps d’agir. Mais pas trop de temps tout de même. « Toutes les leçons de la mise en œuvre du DPE doivent être tirées en vue des prochaines échéances de 2028 et 2034, s’agissant aussi bien du pilotage global du dispositif, que de sa mise en cohérence avec d’autres réglementations et de sa bonne appropriation par le public. »

Le rapport de la cour des comptes

La synthèse

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