Une maison a été vendue sur des sols archi-pollués. L’ardoise est sacrément lourde, on frôle le million d’euros, plus de deux fois le prix de vente. Fin octobre, la cour d’appel de Lyon a condamné le vendeur qui a passé sous silence le passé industriel du site, mais aussi les deux notaires qui ont failli dans leur devoir de conseil.
Le vendeur s’est bien gardé de tout dire. Savait-il au moins que le terrain qu’il vendait était pollué? Oui, à l’évidence. Dès les années 1950, sa famille avait créé une blanchisserie sur le site, activité bien connue pour être source de pollution. Et pendant les décennies suivantes, plusieurs activités se sont succédé jusqu’à la cessation de l’activité industrielle en 2000 et la reconversion du site en terrains constructibles. On voit mal comment le vendeur aurait pu ignorer le risque de pollution, lui qui avait “activement participé” à la gestion d’une des entreprises du site.
Cocktail de polluants
Pourtant quand un couple signe la promesse de vente d’une maison avec piscine située sur ces terrains, personne ne les met en garde. Ni le vendeur, ni les notaires. En fait, il faudra attendre huit ans, jusqu’au moment où la famille se lance dans des travaux d’extension et de rénovation, pour que la pollution environnante éclate au grand jour. La machine judiciaire s’enclenche, une expertise est ordonnée.
Les terrains révèleront un véritable cocktail de polluants. L’expert évoque des métaux lourds, des dioxines, des furanes, des hydrocarbures, des trichloroéthylènes des tétrachloroéthylènes “touchant les sols, les gaz de sol et les eaux souterraines”. Un héritage évident du lourd passé industriel du site qui présente un risque certain pour la santé humaine.
Le vendeur tenu d’informer l’acheteur lorsqu’il a connaissance de l’exploitation d’une installation soumise à autorisation ou enregistrement sur un terrain, est logiquement condamné par le tribunal correctionnel en 2021. Il devra prendre à sa charge les frais de dépollution du site estimés à plus de 600.000 euros, c’est-à-dire, bien plus que le produit de la vente (440.000 euros) réalisée en 2010.
La cour d’appel de Lyon confirme la condamnation du vendeur, mais contrairement au jugement de première instance, elle retient aussi la responsabilité des deux notaires qui ont manqué à leur devoir de conseil.
Les notaires avaient pris soin de glisser une clause sur la protection de l’environnement dans le compromis, mais ils ne sont pas allés plus loin, privant les acquéreurs d’informations primordiales sur le passé industriel du site. La cour d’appel leur reproche de ne pas avoir menés d’investigations en consultant par exemple le fichier Basias qui recense tous les anciens sites industriels de France, ou les services territoriaux compétents en charge des polices en matière d’installations polluantes. Leur responsabilité est donc clairement engagée et la cour d’appel les condamne à réparer les préjudices solidairement avec le vendeur, dans la limite de 80%.
900.000 euros pour dépolluer le terrain
La faute est aggravée pour l’un des deux notaires qui ne pouvait ignorer l’activité passée du site: non seulement, il avait été notaire de la société exploitée à proximité du bien, mais il était aussi proche de la famille du vendeur et de l’ancien maire de la commune. Il est donc condamné à garantir les condamnations du vendeur à hauteur de 50%.
L’addition est salée. En 2020, l’expert a estimé les travaux de dépollution à 723.000 euros. Le coût peut sembler exorbitant par rapport au prix de vente de la maison. “Peu importe que ce coût soit disproportionné par rapport au prix de vente ou à la valeur du bien”, explique la cour d’appel. “L’acquéreur qui engage la responsabilité du vendeur pour manquement à son obligation de délivrance a le choix de demander la résolution de la vente ou la réparation du préjudice résultant du défaut de conformité qui consiste notamment dans le coût des travaux de mise en conformité qui doit être établi.”
Et puisque les relations apparaissent conflictuelles entre les deux parties, la cour d’appel juge “nullement opportun” que le vendeur fasse réaliser lui-même les opérations de dépollution. Du coup, viendront s’ajouter 141.000 euros supplémentaires pour payer l’intervention d’un maître d’œuvre. Le montant total des travaux de dépollution est ainsi porté à 894.000 euros. Le couple acquéreur obtient aussi 30.000 euros au titre du préjudice de jouissance, 20.000 euros pour le préjudice moral, et 40.000 euros pour le préjudice d’anxiété.
L’affaire qui a déjà fait beaucoup parler dans la région lyonnaise est cependant loin d’être bouclée. Six autres procédures civiles, et une instruction judiciaire pour “écocide”, une des premières en France, sont toujours en cours.
Cour d’appel de Lyon, 20 octobre 2022, n°21-08664.
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