On ne les connaît pas, on ne les voit pas, et pour tout dire, on ne sait pas encore grand-chose d’eux. Pourtant, ils ont envahi notre quotidien en moins de deux décennies. L’association Avicenn (Association de veille et d’information civique sur les enjeux des nanosciences et nanotechnologies) sort une enquête explosive qui montre l’omniprésence et la prolifération de ces nanos dans le logement comme ailleurs, en toute impunité.
Bien trop récents pour que l’on puisse encore en mesurer toutes les conséquences sur la santé et l’environnement. On manque sérieusement de recul. Incorporés à un tas de produits aussi divers que variés, dans le logement, la nourriture, les jouets, les cosmétiques et on en passe, ces nanos si minuscules sont facilement ingérables. 50.000 fois plus petits qu’un cheveu, plus fins encore que la redoutée fibre d’amiante. “La petitesse des nanos les rend davantage susceptibles de se diffuser dans notre organisme, jusque dans nos cellules, où leur forte réactivité peut entraîner des effets potentiellement néfastes sur la santé (inflammations, allergies voire risques de cancers) encore largement sous-évalués”, explique l’Avicenn. Comme pour l’amiante, des décennies en arrière, les conséquences sur la santé font encore débat.
En attendant, les nanos prolifèrent à vitesse grand “V”. Imaginez, il y a 20 ans, on n’en parlait pas. En 2005, on recensait quelques dizaines produits à base de nanos. Moins de vingt ans plus tard, on les compte désormais par milliers. L’association a retenu 23 produits transmis au Laboratoire national de métrologie et d’essais (LNE). Ce simple échantillon montre combien ces nanos ont envahi notre quotidien.
On trouve de (très) grandes marques, L’Oréal, Labello, Guigoz, Signal, Royal Canin, Aoste, Herta, etc. Et on trouve toutes sortes de produits du textile, des produits du bâtiment, des produits d’hygiène, des cosmétiques, de la nourriture, des jouets et même du lait pour bébé! Verdict: le laboratoire est formel, sur ces 23 produits, 20 sont revenus positifs: dioxyde de titane, argent, silice, oxydes de fer, parfois “dans des proportions inquiétantes” selon l’association. “Nos tests attestent du fiasco de l’étiquetage [nano] : sans le savoir, nous sommes tous exposés, tout au long de la journée et de l’existence, à un nombre et une variété élevés de nanos préoccupants – et parfois non autorisés“, commente Mathilde Detcheverry, déléguée générale de l’association.
La réglementation bafouée
Face à l’invasion des nanos, les pouvoirs publics ne sont pas restés (totalement) immobiles. Principe de précaution oblige, la réglementation européenne demande aux industriels de préciser la présence de nanos dans l’étiquette des produits et en France, à se faire enregistrer auprès d’un registre R-Nano. En théorie.
Car la petite enquête d’Avicenn montre combien les nanos passent sous les radars. D’abord parce que tous les produits qui contiennent des nanos ne sont pas forcément soumis une obligation d’affichage. Deuxio, parce que, faute de contrôles et de sanctions, cette obligation d’affichage est loin d’être respectée. “La grande majorité des produits testés couverts par l’obligation d’étiquetage européenne ne sont pas étiquetés [nano]”, déplore l’association. Enfin, tertio, l’association a aussi découvert des nanos qui ne devraient pas être là: “des nanos sont communément utilisés alors qu’ils ne sont pas autorisés”. “Notre enquête révèle qu’hormis dans la catégorie des crèmes solaires et quelques rares cosmétiques, l’étiquetage [nano] est quasiment invisible dans les supermarchés…. alors que les nanos sont bel et bien, sinon omniprésents, en tout cas bien plus répandus qu’on ne l’imaginait.”
Les marques mises en cause ont été contactées, et Avicenn rapporte des réactions pour le moins contrastées. “Certaines marques ont contesté les résultats d’analyse, usant d’arguments parfois infondés scientifiquement ou juridiquement. A l’inverse, plusieurs marques semblent plus soucieuses de la présence de nanos dans leurs produits et ont indiqué avoir lancé des enquêtes en interne et auprès de leurs fournisseurs -parmi elles, Aoste et Nana notamment ont initié une démarche volontaire de retrait des nanos de leurs gammes et se sont ainsi engagées à proposer bientôt des produits sans nanos!”
Mais pour quelques marques qui décident de se passer de nanos, combien d’autres risquent d’inonder notre quotidien. Car la réglementation européenne évolue, et pas toujours dans le sens voulu par des associations comme Avicenn. “Leur nombre pourrait s’accroître avec la révision récente de la définition du terme “nanomatériau” et la révision de REACH (réglement européen pour l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ndlr) et, à plus court terme, des réglements européens encadrant les cosmétiques et les “nouveaux aliments”.” Une bataille est aujourd’hui engagée entre industriels et les associations qui n’est pas sans rappeler celle menée au siècle dernier pour interdire l’amiante. Comme si on n’avait tiré aucune leçon du passé.
Soyez le premier à commenter