Ce qui vient de se passer avec le nouveau diagnostic de performance énergétique est surprenant. Pour le dire en accéléré, un bug technique du moteur de calcul construit par le ministère du Logement a changé le statut populaire de cet outil de connaissance des performances environnementales de nos logements. On ne peut nier que les parties prenantes, propriétaires vendeurs, acquéreurs, occupants ou bailleurs, agents immobiliers, administrateurs de biens, notaires tenaient le DPE, comme l’ensemble des autres diagnostics, comme superfétatoires et surérogaoires… luxueux en un mot. C’était au point que nombre d’intermédiaires affichaient avec une fierté marketing non dissimulée la promesse commerciale “Diagnostics gratuits” pour emporter des mandats exclusif… Gratuits et non offerts, pour preuves de la faible considération accordée à ces documents. On a tous assisté à des signatures d’actes authentiques au cours desquelles on tournait en dérision ces informations saugrenues sur le caractère inondable du quartier “comme les deux tiers de la commune”, ou le mauvais classement énergétique “comme toutes les maisons anciennes” ou “comme la plupart des appartements des beaux immeubles bourgeois de la ville”.
Encore lorsque le DPE est devenu opposable, assorti d’une valeur juridique majorée, pouvant servir de fondement à la remise en question d’un bail ou d’un acte d’achat, on ne s’est pas inquiété outre mesure. La ministre elle-même, interrogée, a calmé le jeu: aucun risque de fragilisation du marché ni des contrats. On a senti une sorte de geste esthétique, sans plus, voulu par le législateur dans l’un de ses fantasmes. En réalité, notre pays était en train de changer de paradigme pour l’immobilier et bien peu l’avaient senti, pas même les artisans de cette évolution, les diagnostiqueurs. Ils avaient fini par se résigner à être méprisés, à être des sortes de passagers clandestins de la chaine de valeur.
Mais alors, que s’est-il passé? Deux événements, l’un fortuit, l’autre prémédité et annoncé. Le second est l’examen, puis le vote et la promulgation de la loi Climat résilience le 22 août dernier, quand la nation prenait des vacances méritées après des mois de pandémie. Là encore, il y a eu un signal faible, que la communauté professionnelle n’a pas lu: alors que la commission mixte paritaire (CMP) qui devait confronter les positions éloignées de l’Assemblée nationale et du Sénat sur le calendrier relatif à l’interdiction de louer les logements locatifs surconsommateurs d’énergie. On prédisait que la CMP allait échouer et que la loi ne serait du coup pas votée avant l’automne. On avait sous-estimé et le pouvoir de conviction d’un Mickaël Nogal, rapporteur pour les députés, partisan de ne pas diluer l’entrée en vigueur des mesures coercitives, et la volonté de l’Élysée. Bref, une lame de fond, que même le puissant lobbying de la FNAIM ou de l’UNPI n’a pu endiguer. Entre 2023 et 2034, tous les logements locatifs mal classés devront avoir été techniquement corrigés et pour les copropriétés, une démarche diagnostique et programmatique obligatoire, couplée à une épargne défiée forcée devrait conduire à des travaux en masse. Il faut ajouter pour être complet l’obligation à compter du 1er janvier de fournir un audit énergétique pour les cessions de biens en monopropriété, maisons individuelles notamment, et l’interdiction d’augmenter les loyers des passoires thermiques à la relocation.
Le premier événement, qu’on n’attendait pas, c’est le plantage du DPE nouvelle formule et l’obligation pour le gouvernement de surseoir à l’obligation de réaliser les diagnostics jusqu’à ce que le moteur soit repensé: conçu pour être plus complet, avec non seulement le classement selon la consommation mais aussi les émissions de gaz à effet de serre, le plus mauvais résultat des deux étant retenu, avec une estimation des travaux nécessaires pour redresser la vertu énergétique, il a dégradé en passoires énergétiques des centaines de milliers de biens à la location ou à la vente en quelques semaines! Là, la France a compris qu’on changeait d’ère: d’un coup, les propriétaires ont senti que la valeur de leur bien allait être affectée, que l’exploitation des biens de rapport énergivores serait compromise. La panique s’est emparée de la France des propriétaires. Certes, le DPE a été suspendu et les logements déclassés vont pouvoir faire sans frais l’objet d’un deuxième DPE, fiabilisé cette fois…ce qui ne changera pas la donne pour tous! Certains recalés de l’examen précédent resteront non diplômés.
Des débats d’experts s’ouvrent sur la valeur verte des logements, ou plutôt la dévalorisation partant de la vertu énergétique qui deviendrait la norme, même en zone tendue. Des banques commencent à refuser des prêts pour l’achat de logements classés F ou G, en particulier à destination de la location. Les courtiers en financement montent avec les prêteurs une offre globale pour l’achat et les travaux de transition environnementale… et se profile une écoconditionnalité de crédits, avec de meilleures conditions pour les logements les mieux classés. En somme, le prêt immobilier, octroyé depuis toujours dans notre pays sur des considérations personnelles liées à l’emprunteur, est en train de devenir pour partie réel, relatif à la qualité du bien. Au passage, les autres diagnostics que le DPE vont se trouver réhabilités et à l’avenir toutes les parties concernées, celles-là mêmes qui marquaient une indifférence puissante à ces données, vont les regarder comme des aides à la décision de location ou d’achat. Un autre monde immobilier, ordonné selon une autre logique. Et qui fait du diagnostiqueur un juge de paix.
Au fond, cette séquence sonne peut-être aussi le glas d’un marché fondé sur la seule approche commerciale, la négociation, sinon depuis les années récentes dans nos territoires les plus attractifs la spéculation, pour lui substituer un marché qui s’intéresse à l’essentiel, le logement. On remet l’église au milieu du village.
Ce nouveau DPE est bien une ineptie politique. Par exemple, en copropriété elle a comme défaut d’imposer des travaux aux bailleurs alors qu’étant minoritaires en AG ils ne pourront pas faire voter les travaux. Cela va prendre des années pendant lesquelles les bailleurs seront obligés de retirer leurs biens du marché et au final tout le monde sera perdant.