Amiante dans l’eau potable : un sujet toujours trouble

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C’est un vieux serpent de mer. L’amiante des canalisations et par ricochet dans l’eau potable qui coule dans nos robinets est un sujet qui refait souvent surface ces dernières années. Alors que nos voisins italiens et belges s’interrogent sur une potentielle dangerosité et tentent de localiser les canalisations en amiante-ciment, la situation reste floue dans notre pays.

Existe-t-il un lien entre l’eau circulant dans les canalisations en amiante-ciment et d’éventuels cancers digestifs? C’est ce que se sont demandé les auteurs italiens de la revue Epidemiologia&Prévenzione en 2015, après la découverte de 700.000 fibres d’amiante par litre dans des échantillons d’eau potable en Toscane. Aucune affirmation, mais ces scientifiques parlent bien d’un “danger possible sous-estimé“. “De nombreuses preuves suggèrent que les risques pour la santé liés à l’amiante peuvent être incombé à différentes voies d’introduction et sont également présents par ingestion, notamment par la consommation quotidienne d’eau potable.”

Mobilisation internationale

Il n’y a a pas qu’en Italie que le sujet inquiète, en Belgique aussi. Un documentaire télévisé diffusé par la RTBF diffusé le 26 janvier 2022 alerte sur le sujet. Le site internet du média belge a également publié un module permettant de savoir, pour chaque commune wallonne, si des canalisations en amiante-ciment y sont présentes.

Outre-Atlantique, un médecin et chercheur à l’École de santé publique de l’Université Drexel à Philadelphie interrogé dans la presse canadienne affirme “ qu’il n’y a pas de doute que les conduites en amiante-ciment soient dangereuses ». Il aurait constaté au cours de sa carrière  “que les fibres d’amiante ingérées pénètrent dans le système gastro-intestinal et causent une panoplie de cancers”.

Aucune obligation réglementaire n’existe aujourd’hui, car aucune preuve scientifique ne peut être apportée. La directive européenne UE 2020/2184 du 16 décembre 2020 concernant la qualité des eaux destinées à la consommation humaine (EDCH) ne cite pas l’amiante dans la liste de vigilance. Mais le Parlement européen exhorte cependant la Commission européenne à “élaborer et exécuter un plan global de rénovation et de désamiantage du réseau européen de distribution d’eau potable”.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS), elle, recommande d’étudier de la dangerosité et de mettre à jour les données relatives à la contamination de l’eau destinée à la consommation humaine, concernant notamment « les concentrations, tailles de fibres et types d’amiante dans l’eau provenant des canalisations en amiante-ciment anciennes ”.

En France, la situation reste floue

La France a naturellement aussi planché sur la question depuis des années. Dans son dernier avis et rapport daté de juillet 2021, l’Anses ne parvient toujours pas à établir un lien formel entre la consommation d’eau et le développement de cancers, mais l’Agence admet “la possibilité d’association pour les cancers de l’œsophage, de l’estomac et du côlon”. Selon l’Anses, les risques d’émissions de fibres dans ce type de canalisation seraient faibles “si elles sont installées dans des sols stables et non agressifs, et transportent une eau calcifiante”, mais existent si les canalisations sont friables. En d’autres termes, la dangerosité des conduites en amiante-ciment dépendrait surtout de leur état de conservation. Logique.

Si l’amiante peut potentiellement être dangereux à la consommation et si un risque d’ingestion est possible, il reste à savoir où se situent ces conduits en amiante-ciment et dans quelles proportions sont-ils représentés dans le réseau.

Sur le sujet, on constate une réelle pauvreté de données dans l’Hexagone. Non seulement les données sont pauvres, mais elles sont anciennes aussi. L’estimation courante de 30.000 à 35.000 km de canalisations en amiante-ciment correspond à un rapport publié en 2002, par Jean-Michel Cador (alors directeur du département de géographie de l’université de Caen). A l’époque, il estimait que les canalisations en amiante-ciment représentaient 4% du réseau d’après un échantillon de huit départements, soit 36.000 km de conduits sur un total de 850.000 km en France. Mais il ne s’agissait que d’une estimation, aucun recensement national n’a jusqu’à maintenant été effectué.

Un rapport du sénat sur “La qualité de l’eau et l’assainissement en France datant de la même époque mentionne également la présence de canalisations en amiante-ciment sans plus de précisions. Il y est toutefois écrit que “le potentiel de dégradation des canalisations s’accroît avec le temps, surtout lorsque le réseau est déjà très ancien, ce qui est le cas en France”. On y apprend que près de la moitié des canalisations avait déjà 30 ans en 2003 et 10% plus de 50 ans. Le rapport estimait “le coût pour résorber les matériaux à risques et les matériaux anciens à 53 milliards d’euros”.

L’amiante dans l’eau n’a sans doute pas fini de faire couler de l’encre. Car si le risque d’un danger pour la santé n’est pas scientifiquement avéré, il n’est pas écarté non plus. Alors on fait quoi, on applique le principe de précaution dans le doute? C’est ce que semble bien dire l’Europe. Mais encore faudrait-il que l’on sache où se trouvent au juste les canalisations amiante, et dans quel état.

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