A l’approche des élections présidentielles, la question de la sobriété énergétique surgit parfois dans les discours politiques. Un peu plus sans doute depuis qu’il est question de souveraineté énergétique, mais peut-être pas suffisamment encore. Rencontre avec Jean-Baptiste Lebrun, directeur de l’association Cler – Réseau pour la transition écologique qui défend cette nécessaire “sobriété énergétique” depuis longtemps.
Concrètement, qu’est-ce que la sobriété énergétique ?
Jean-Baptiste Lebrun : « Il y a plusieurs façon de la définir. Selon moi, la sobriété énergétique est un choix qui doit être volontaire, dans le but de modérer et de baisser ses consommations d’énergie. Comment ? Par des changements de mode de vie, de consommation, d’usage, etc.
Très concrètement ça passe par des leviers, des actions individuelles comme par exemple faire le choix de baisser son chauffage et de mettre un pull, de prendre une douche courte plutôt qu’un long bain ou encore de favoriser les circulations douces. Il y a une dimension collective qui entre en jeu également. Typiquement, un des enjeux fort quand on parle de sobriété énergétique, c’est réguler la publicité. Par exemple, dans la loi Climat et résilience, il y avait une proposition d’interdire ou réduire la publicité en faveur des énergies fossiles ou des produits qui en consomment.»
Au travers de l’association Cler, comment agissez-vous pour la transition écologique ?
J.-B. L : « Aujourd’hui, c’est un champ assez récent d’action, notre rôle est de donner de la visibilité à ces débats et d’échanger, partager ses expériences sur ses sujets. Le réseau du Cler anime des ateliers depuis une dizaine d’années. Le programme appelé Déclics (Défis citoyens locaux d’implication pour le climat et la sobriété) par exemple, sous la forme de défis à réaliser en groupe, l’objectif est d’informer les gens sur les problématiques climatiques (énergie, modes de consommation, alimentation, déchets, mobilité…), pour faire bouger les choses et éveiller les consciences. C’est un exemple concret pour avancer dans la sobriété énergétique, à l’échelle individuelle.»
“Si on veut obtenir des résultats, il faut concilier rénovation énergétique et sobriété énergétique.”
Comment devient-on sobre énergiquement ?
J.-B. L : « C’est un processus qui passe par des décisions que l’on peut prendre individuellement ou par le biais de la sphère privée, elles auront ensuite une résonance collective qui permettra de redéfinir les normes sociales autour des nouveaux comportements. Certaines personnes font déjà des choix de vie dits radicaux mais aujourd’hui c’est nécessaire. Malheureusement, ces personnes sont marginalisées par la société, il manque encore une prise de conscience collective.»
La sobriété énergétique est-elle indispensable selon vous ?
J.-B. L : « Elle est indispensable parce qu’on est face aux limites planétaires de façon générale, mais aussi aux risques climatiques. L’accroissement de l’utilisation des ressources n’est plus possible. Tous les scénarios montrent qu’il est absolument nécessaire de faire évoluer notre mode de vie. Il faut aussi prendre en considération le ressenti des gens face aux inégalités, quête de sens, critique du consumérisme, etc. A travers la sobriété énergétique et la sobriété en général, il faut qu’on puisse retrouver un sens entre les pratiques et les valeurs, les actions et les risques, pour être plus heureux. »
Peut-on réussir la rénovation énergétique sans la sobriété énergétique ?
J.-B. L : « Les deux sont complémentaires. Si on veut obtenir des résultats, il faut concilier rénovation énergétique et sobriété énergétique. Quand vous isolez mieux les maisons, les gens ont tendance à se chauffer davantage et les consommations ne baissent pas comme elles devraient. L’intérêt est qu’elles peuvent se construire ensemble, il ne faut pas les négliger. »
“Si on veut réduire rapidement, cette année ou l’année prochaine de façon significative, c’est-à-dire entre 8 et 15%, notre consommation d’énergies fossiles, ce qui correspond à peu près, à la part des importations russes dans le mix français, il faut miser sur le changement de nos comportements.”
Quels sont les freins rencontré par la sobriété énergétique ?
J.-B. L : « Il y a beaucoup de freins car cela repose sur des infrastructures, des services, des valeurs et des normes sociales basés sur le productivisme, ce qui va à l’encontre de la sobriété énergétique. Tout cela prend beaucoup de temps. A plus court terme, il y a une bataille politique assez forte autour de cet enjeu, certaines personnes s’en servent pour le marginaliser, le ridiculiser d’une certaine façon, ce qui a écho nationale. Ce débat peut exister sereinement, sans être caricaturer par des acteurs de la société. Pour y arriver, il faut que ce soit un effort collectif et partagé, comme par exemple imaginer vivre dans des appartements plus petits. Ces hypothèses-là nous permettront de ne pas avoir un dérèglement climatique démesuré.»
Le conflit russo-ukrainien met en lumière la dépendance énergétique de la France. Peut-il aussi avoir un impact “positif” pour encourager la sobriété énergétique ?
J.-B. L :« Pour moi, on en parle sans vraiment en parler. Ce que la guerre en Ukraine révèle n’est qu’une nouvelle démonstration que la croyance en des énergies fossiles disponibles, bon marché et sans conséquence est complètement illusoire. Si on veut réduire rapidement, cette année ou l’année prochaine de façon significative, c’est-à-dire entre 8 et 15%, notre consommation d’énergies fossiles, ce qui correspond à peu près, à la part des importations russes dans le mix français, il faut miser sur le changement de nos comportements. C’est notre seul outil pour le moment. D’ailleurs, la seule fois où on a pu constater ses effets, c’est pendant le confinement parce que tout à coup, on a changé de mode de vie mais attention ce n’est pas de la sobriété énergétique et là se trouve la nuance puisque que maintenant tout est revenu comme avant. C’est un ensemble de restrictions qui donne ce résultat.
Or, je le rappelle, la sobriété énergétique c’est un choix volontaire. Par exemple, quand Bruno Le Maire demande de réduire sa consommation de chauffage en soutien à l’Ukraine, c’est à la fois vrai dans les faits, et, à la fois une très mauvaise manière de s’y prendre. Si on veut qu’il y est un effet positif, il faudrait mettre en place des conditions, ce qui implique d’en discuter pour faire la différence entre celui qui a du mal à chauffer chez lui et celui qui a des pièces en trop, surchauffées. Cela ne doit pas être une contrainte temporaire.»
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