La France est partie de loin, mais elle a rattrapé son retard. Depuis vingt ans, on connaît de mieux en mieux l’air qu’on respire chez soi ou au bureau. Et si on a aussi pris conscience des risques liés à une mauvaise qualité de l’air intérieur, c’est aussi un peu grâce au travail de l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur (OQAI), qui vient tout juste de fêter son vingtième anniversaire.
Plus on les cherche, plus on les trouve. « En 2001, nous avons commencé avec une liste de 70 polluants », se souvient Corinne Mandin, responsable division Qualité des environnements intérieurs à la direction Santé Confort du CSTB (Centre scientifique et technique du bâtiment). En 2010, déjà, on était passé à plus d’un millier de substances chimiques potentiellement présentes dans notre environnement intérieur.
Combien aujourd’hui ? Le dernier recensement, en 2018, en dénombrait 2.740. La liste n’est pas close, une nouvelle campagne d’envergure a justement été lancée en 2021 dans 600 logements pour renseigner sur les pollutions intérieures. Résultats annoncés courant 2022.
Phtalates, DEHP, les petits nouveaux
Car de nouvelles substances chimiques surgissent sans cesse dans nos intérieurs, issues de trois grandes familles de sources : le bâtiment et ses matériaux de construction, les produits de consommation (comme le mobilier, les ordinateurs, les textiles, etc.), et les substances venues de l’extérieur. Certains usages aussi évoluent, on pense aux diffuseurs de parfums, aux bougies et autres, qui n’étaient peut-être pas si usités auparavant. « Depuis la naissance de l’Observatoire, nous avons vu apparaître de nouvelles pollutions avec certains phtalates dont le DEHP (phtalate de di-2-éthylhexyle), le plus toxique d’entre eux », note Corinne Mandin. Ça, c’était pour la mauvaise nouvelle. « La bonne nouvelle, c’est que depuis 20 ans nous voyons des concentrations de certains polluants diminuer, comme le toluène ou les chlorés très rarement détectés aujourd’hui », poursuit l’ingénieure.
Près de 3.000 substances chimiques identifiées dans nos intérieurs, forcément, on ne l’imaginait pas. On se rassure, toutes ne sont heureusement pas nocives. Même si la toxicité de ces substances n’est pas encore connue (il faut du temps pour renseigner la toxicité d’autant de substances), d’une façon générale, l’air intérieur ne semble pas forcément plus pollué aujourd’hui qu’hier. « En fait, la plupart des substances aujourd’hui connues étaient déjà présentes il y a 20 ans, mais on ne savait pas forcément les détecter comme le glyphosate dans les poussières », explique Corinne Mandin. Autrement dit, s’il y en a désormais autant, c’est aussi grâce au progrès, à des techniques analytiques plus pointues et à un champ d’investigations élargi aux poussières du sol, aux pesticides, aux PCB (polychlorobiphényles), aux retardateurs de flamme… Tous ces composants qu’on pensait vertueux et qu’on a volontiers introduits dans la construction de la deuxième moitié du XXe siècle.
Une sensibilisation qui progresse
On connaît mieux ce que l’on respire, mais la population a-t-elle pris conscience des méfaits d’une mauvaise qualité de l’air intérieur ? Car à la différence de la pollution extérieure matérialisée par les gaz d’échappement ou les fumées d’usines, cette pollution intérieure est longtemps restée transparente. Corinne Mandin sourit : « C’est toujours difficile pour nous de répondre à cette question, puisque nous baignons dans ce sujet au quotidien. La nouvelle campagne de mesure dans les logements comporte justement un questionnaire pour mesurer la perception des risques et savoir si les gens font aujourd’hui davantage attention aux émissions possibles de polluants dans leur logement. On a le sentiment que cette perception s’est améliorée avec les nombreuses actions de sensibilisation qui ont émergé, et plus récemment encore avec la pandémie. Beaucoup de communication a été réalisée sur l’aération des locaux intérieurs, on a même vu dans Paris des affiches 4×3 pour sensibiliser à l’ouverture des fenêtres. »
Driss Samri, directeur Santé Confort au CSTB, observe aussi une autre évolution positive en vingt ans. Beaucoup de collectivités, des écoles notamment, se sont équipées de capteurs de CO2, un produit/équipement quasi absent sur le marché grand public il y a 20 ans. « Ces capteurs mesurent le CO2, parfois les COV (composés organiques volatiles) et les particules fines, mais pas forcément les autres polluants. Ils restent cependant un bon indicateur, car une concentration élevée de CO2 signifie aussi que les autres polluants sont présents et que le renouvellement d’air est insuffisant. L’indicateur peut donc être corrélé avec la qualité de l’air intérieur même s’il faut rester prudent, car une basse concentration de CO2 ne signifie pas forcément l’absence de polluants dans l’air intérieur. »
Vigilance sur la rénovation
Une qualité de l’air mieux connue, une population davantage sensibilisée, mais il reste cependant un point d’attention. Vertueuse pour le climat et le porte-monnaie, la rénovation énergétique, si elle n’est pas associée à une prise en compte de la ventilation, peut aussi être synonyme de détérioration de l’air intérieur.
L’OQAI qui planche sur le sujet depuis 2012 retient deux points de vigilance : l’humidité qui se trouve emprisonnée et peut conduire au développement de moisissures, et le radon, ce gaz radioactif à l’origine de quelque 3.000 décès chaque année en France. « Grâce à une étude portant sur 6.000 maisons, on s’est aperçu que les maisons rénovées affichaient des concentrations supérieures à celles non rénovées. L’isolation sans prise en compte de la ventilation rend étanche les maisons et emprisonne le radon. »
Corinne Mandin résume la problématique : « Aujourd’hui, avec l’isolation massive, on supprime les fuites d’air parasites qui sont une des trois composantes du renouvellement d’air avec la ventilation et l’ouverture de fenêtres. Le bon entretien de la VMC et une aération régulière sont impératifs. » La qualité de l’air intérieur reste un équilibre fragile, menacé au moindre changement dans nos lieux de vie.
Profeel, un diagnostic pour éviter les contre-performances de la rénovation
En isolant davantage, on risque de dégrader la qualité de l’air intérieur. Et si on installe une VMC pour y remédier, c’est l’acoustique du logement qui peut en pâtir. Cornélien. C’est pour cette raison que depuis vingt ans, l’OQAI a élargi son périmètre d’intervention au-delà de la seule qualité de l’air intérieur. « Nous adoptons aujourd’hui une approche plus globale, en parlant plutôt de qualité de l’environnement intérieur, qui prend aussi bien en compte la qualité de l’air intérieur que l’acoustique ou la lumière par exemple », résume Driss Samri, directeur Santé-Confort au CSTB.
Dans le cadre du programme Profeel (Programme de la Filière pour l’innovation en faveur des Économies d’Énergie dans le bâtiment et le logement) piloté par l’AQC, et plus particulièrement du projet « Qualité sanitaire et énergétique des rénovations – QSE », le CSTB et l’OQAI travaillent sur un outil permettant de s’assurer que la rénovation ne nuit pas à l’environnement intérieur. « L’idée est de développer une méthode simple de diagnostic qui sera mise à disposition du particulier comme du professionnel pour le logement, l’école ou le bureau, afin d’éviter les contre-performances en matière de rénovation », explique Driss Samri. Le but n’est pas de disposer d’un outil d’une précision absolue, mais plutôt d’avoir un outil accessible à un maximum de personnes : un smartphone pour l’acoustique, un capteur pour la QAI… Le kit est en cours d’élaboration et devrait voir le jour courant 2022.
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