La digitalisation pour venir à bout de l’amiante

Et si la digitalisation aidait à mieux prévenir le risque amiante ? Laurent Roquin, président du groupe Sodiatec et vice-président de la Fidi (Fédération interprofessionnelle du diagnostic immobilier), en est convaincu. Non seulement, les solutions digitales peuvent doper la prévention, mais la remédiation amiante, vœu resté pieux jusqu’à présent, ne peut se faire sans cette digitalisation qui permet de capitaliser sur la donnée accumulée depuis près de 25 ans.

Qu’est-ce ce qui ne marche pas aujourd’hui avec l’amiante ?

Laurent Roquin : « Pour moi, la réglementation est très bien faite, articulée autour d’un DTA (Dossier technique amiante) chargé de stocker et de tracer toute l’information amiante d’un bâtiment. Malheureusement, encore aujourd’hui, ce DTA reste mal compris. On le voit jusque dans son nom puisque beaucoup l’assimilent à un « diagnostic » quand il s’agit d’un « dossier ». Ce DTA, essentiel  à la prévention du risque amiante, doit être considéré comme un classeur dans lequel les repérages listes A et B ne sont que le point de départ.

Aujourd’hui, la plupart des DTA demeurent au format papier. Nous le constatons chaque jour, ils ne sont pas forcément mis à jour en temps et en heure, pas forcément accessibles. Or rien n’empêche d’avoir un dossier dématérialisé. Il faut arrêter de refaire sans cesse les mêmes diagnostics, les mêmes analyses, parce qu’on a perdu la trace des précédents rapports, parce que la personne qui s’en occupait a quitté l’entreprise. Nous devons plutôt travailler à capitaliser la donnée existante et cela passe par un concentrateur digital.»

Concrètement, à quoi ressemble cette digitalisation amiante ?

L. R. : « On peut distinguer trois niveaux. D’abord, on détermine la structure patrimoniale avec le client, avant de renseigner toute l’information amiante dont on dispose pour le bâtiment. Cela peut-être des diagnostics, mais aussi des travaux de désamiantage, des mesures d’empoussièrement… Enfin, dans un troisième temps, on va alimenter cette banque de données avec de nouveaux éléments comme les évaluations de l’état de conservation, les repérages avant-travaux…

Au fil du temps, la connaissance amiante du bâtiment s’enrichit, une cartographie se dessine et s’affine pour devenir de plus en plus exhaustive. Pour le maître d’ouvrage, cela va aussi permettre de remplir ses obligations réglementaires, d’effectuer les mesures d’empoussièrement quand il le faut, et surtout ça évite d’avoir à refaire des repérages et des analyses qui ont déjà été faits par le passé. »

Comment cet outil de pilotage peut-il améliorer la prévention du risque amiante ?  

L. R. : « Pour l’exploitation d’un bâtiment, que ce soit pour de l’entretien ou des travaux plus lourds, la digitalisation permet de fluidifier l’information à destination des entreprises qui interviennent sur place. Si quelqu’un doit intervenir dans telle partie du bâtiment, on voit aussitôt où l’amiante a déjà été diagnostiqué, où des repérages et analyses sont nécessaires pour compléter ce qui existe déjà.

Non seulement, les interventions sont davantage sécurisées, mais la digitalisation permet aussi de mieux anticiper les chantiers, de mieux les préparer et d’éviter les mauvaises surprises. Or on sait qu’il n’y a rien de pire que de découvrir l’amiante en cours de travaux : à coup sûr, c’est l’arrêt de chantier, des retards et des coûts supplémentaires. »

Investir pour économiser plus

C’est donc une solution vertueuse…  

L. R. : « Oui, y compris économiquement, le donneur d’ordre s’y retrouve à terme. Quelle que soit la solution retenue (Amiante360 de Sogelink, BatINBOX d’ITGA, Giba de Dekra, Protys…), cela représente forcément un investissement. Mais il faut bien comprendre que la digitalisation évite à terme une redondance d’analyses. Demain, au lieu de 150 analyses en amont d’une intervention, nous pourrons peut-être nous contenter de sept ou huit, puisque nous aurons capitalisé sur les zones déjà repérées et que la donnée ne se sera pas perdue comme nous le voyons aujourd’hui trop souvent. Dans le temps, avec une meilleure traçabilité, cette digitalisation est aussi synonyme de moins de diagnostics, de moins d’analyses. »

Pour les diagnostiqueurs, la digitalisation n’est peut-être pas une bonne nouvelle finalement…

L. R. : « En effet, on pourrait se dire que les diagnostiqueurs souvent ambassadeurs des différentes solutions présentes sur le marché, sont en train de couper la branche sur laquelle ils sont assis. Pour ma part, j’y vois plutôt une évolution de nos métiers avec peut-être moins de repérages demain à réaliser dans le bâtiment, mais davantage d’accompagnement et d’expertise auprès de nos clients. Le « gestionnaire de DTA » fera peut-être partie des métiers de demain dans notre filière. Car, selon les textes, le propriétaire est censé gérer le DTA, mais rien ne l’empêche de se faire assister par un sachant. Qui mieux que les diagnostiqueurs pour remplir cette mission ? Je pense que cela fait partie des évolutions naturelles de nos métiers. »

Est-ce que la digitalisation permet d’espérer, un jour, un parc sans amiante ?

L. R. : « On a perdu l’objectif de vue, mais il est bien là : un parc immobilier purgé de l’amiante qui ne représente plus un danger pour les occupants. Arrêtons de gérer l’amiante à la petite semaine comme on le voit trop souvent avec des repérages qui n’ont pour seule utilité que de satisfaire à une obligation réglementaire immédiate. Essayons plutôt de nous projeter avec cet objectif de remédiation de l’amiante. J’y crois. La digitalisation reste encore confidentielle, mais elle va se développer. Je crois que l’on est à l’aube de ce que l’on n’a pas réussi jusqu’à présent en matière d’amiante, c’est-à-dire à se doter de stratégies de désamiantage parce que les solutions digitales permettent de mieux anticiper, mieux se projeter.

La remédiation s’opère aujourd’hui essentiellement lorsque l’immeuble arrive en fin de vie, mais très peu dans la gestion. Avec la digitalisation, avec une donnée amiante enrichie, un gestionnaire de parc, un bailleur social devient capable de planifier, d’identifier les priorités de retrait d’amiante et peut-être aussi d’organiser une stratégie pour se débarrasser de l’amiante. C’est autrement plus vertueux que ce que l’on observe aujourd’hui. »

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