L’Europe pousse la France à un avenir sans amiante

C’est peut-être un tournant dans la lutte contre l’amiante. L’Europe semble décidée à en finir avec cette pollution responsable de 70.000 décès chaque année. La directive sur la protection des travailleurs face à l’amiante doit être révisée, la Commission européenne envisage un train de mesures pour l’ensemble des États membres. En France, cela signifierait notamment une meilleure transparence et surtout une stratégie nationale de désamiantage.

Amiante et rénovation, en France, le sujet reste souvent tabou: comme si on craignait que ce fichu amiante ne vienne financièrement contrarier les opérations de rénovation. Moins on en parle, mieux on se porte.

L’Europe met les pieds dans le plat. “Il est particulièrement important de protéger davantage la population contre l’exposition à l’amiante alors que l’UE déploie le Green Deal européen, qui comprend l’ambition d’augmenter le taux de rénovation des bâtiments”, peut-on lire dans la communication (en anglais) de la Commission européenne qui accompagne le projet de directive. Car malgré son interdiction depuis 2005 en Europe (1997 en France), “son héritage continue de représenter une menace considérable pour la santé publique”.

La rénovation énergétique source de risques

Avec la révision de la directive européenne sur la protection des travailleurs face à l’amiante, l’Europe suggère un train de mesures. Pas d’autre choix. Car plus on va rénover, plus on risque de tomber sur amiante. Logique. “Étant donné que de nombreux bâtiments à faible performance énergétique ont été construits en utilisant de l’amiante”, l’Europe craint que le nombre de personnes exposées augmente “de manière significative“. Selon ses projections, le nombre de travailleurs exposés, entre 4,1 et 7,3 millions de personne actuellement, devrait augmenter de 4% chaque année pendant les dix prochaines années.

Pour enrayer ces expositions, la Commission reprend donc l’essentiel des propositions formulées par le parlement européen fin 2021. L’ambition est grande, le chantier colossal, car l’Europe s’attaque à la fois à la protection des travailleurs, mais aussi à une meilleure détection de l’amiante, au financement, au traitement des déchets… Dans le lot des propositions, on retient pêle-mêle l’abaissement de la valeur limite d’exposition professionnelle (VLEP) partout en Europe à 0,01 fibre/cm3, la promotion de la microscopie électronique “pour un comptage plus précis des fibres”, “une formation adéquate” pour les artisans du bâtiment, la généralisation de l’avant-travaux, l’obligation de repérage avant-vente, ou une réflexion sur la valorisation des déchets amiante. Liste non exhaustive.

Copie à revoir pour la France

Côté français, on a déjà fait beaucoup de choses en matière d’amiante, notamment pour la prévention du risque. Entre l’abaissement de la valeur d’exposition professionnelle à 10 f/litre, la formation SS4 pour les personnes susceptibles d’être exposées, l’obligation du repérage avant-travaux, et on en passe, la France coche déjà de nombreuses cases. La réglementation n’est pas toujours appliquée comme il faudrait, mais du moins existe-t-elle.

Si la France fait figure de bon élève, parfois désignée même comme la championne du monde en matière de prévention du risque amiante grâce à sa réglementation fournie, elle affiche aussi quelques lacunes. En 2022, on ne compte toujours pas de stratégie de désamiantage, toujours pas d’inventaire des matériaux, y compris dans des établissements publics ô combien sensibles comme les écoles.

Justement, certaines des propositions aujourd’hui sur le tapis plaident pour davantage de transparence, notamment avec un “enregistrement sous forme numérique” qui rendrait “ces informations plus facilement accessibles”. Mais la proposition la plus contraignante pourrait être “l’élaboration de stratégies nationales de désamiantage” dont l’absence est souvent dénoncée par les associations de victimes. Car à la différence d’autres pays européens comme la Pologne, la France ne s’est jamais donné d’objectif et le cadre réglementaire reste plutôt lâche: seuls certains matériaux (calorifugeages, faux-plafonds ou flocages) doivent être retirés lorsqu’ils sont en mauvais état. Pour le reste, l’amiante peut bien rester ad vitam æternam.

Le projet de directive laisse donc entrevoir une Europe sans amiante même si au moins quelques décennies semblent nécessaires pour atteindre cet objectif. Pour accompagner ce coûteux désamiantage, l’Europe propose aussi des outils financiers avec la mobilisation du fonds FRR (Facilité pour la reprise et la résilience) doté de plus de 700 milliards d’euros sous forme de prêts et de subventions. L’ambition est bien que les crédits destinés à la rénovation énergétique servent aussi l’indispensable désamiantage qui, dans la grande majorité des cas aujourd’hui, n’est pas financé, notamment chez le particulier. Que cette rénovation soit réellement vertueuse, qu’elle ne soit pas un risque sanitaire supplémentaire pour les populations comme pour les travailleurs.

L’Europe de l’amiante en chiffres

70.000 victimes de l’amiante en 2019 au sein de l’Europe.
78% des cancers d’origine professionnelle liés à l’amiante.
4,1 à 7,3 millions de travailleurs exposés au sein de l’Union européenne.
Plus de 220 millions de bâtiments construits avant l’interdiction de l’amiante au niveau européen en 2005.