Le cordonnier est toujours le plus mal chaussé. Ça vaut aussi pour l’amiante. Les ministères du Travail et de la Santé qui depuis 25 ans ont produit une abondante réglementation sur le sujet, ont quelques difficultés à appliquer cette même réglementation dans leurs bâtiments. Une enquête menée sur 2019-2021, mais divulguée par les syndicats fin décembre, montre de très sérieuses lacunes.
En matière d’amiante, la prévention commence d’abord par le DTA (Dossier technique amiante). Logique. Pour se protéger, il faut d’abord savoir si le bâtiment contient de l’amiante, et où il se trouve. Dans son enquête, l’Igas (Inspection générale des affaires sociales) a contrôlé 246 bâtiments, dont 216 construits avant 1997 abritant des services de la Dirrecte (Dreets), des agences régionales de santé ou d’établissements publics administratifs. Pas de discussion possible, tout ce qui est sorti de terre avant cette date en France, doit forcément disposer d’un DTA depuis fin… 2005.
Trois bâtiments sur quatre hors la loi
Plus de quinze ans après, ça pique drôlement. Sur les 216 bâtiments en question, “il est constaté 49 absences de production de DTA (22,3 %) et 112 DTA incomplets ou non actualisés (51 %). Soit au total, 161 structures ne répondant pas aux obligations réglementaires liées à l’amiante (74,5%)”. Que les bâtiments soient la propriété de l’État, ou qu’ils soient loués, ne change rien, la réglementation reste la même.
Avoir un DTA, c’est bien, mais encore faut-il qu’il soit mis à jour. C’est tout l’intérêt de ce dossier censé s’enrichir au fil du temps pour parvenir, un jour, à une connaissance quasi exhaustive de l’amiante dans le bâtiment. Ici, on a pu découvrir de l’amiante à l’occasion de travaux, là des matériaux se dégradent avec le temps, ailleurs encore, on a retiré des matériaux… Ces informations restent précieuses dans une logique de prévention. Pourtant, “sur 216 bâtiments concernés, il est observé que 91 bâtiments, soit 42,1 %, n’ont pas fait l’objet d’une actualisation de leur DTA”. Parfois aussi, l’amiante a été localisé, mais aucune évaluation de l’état de conservation n’a été réalisée, c’est-à-dire qu’on ignore totalement si le matériau ou produit est dangereux pour les occupants.
Comment expliquer ces lacunes? Les auteurs du rapport avancent “une méconnaissance de la réglementation amiante ou un manque d’intérêt” pour expliquer cette inaction. Le rapport montre qu’au sein même de ces structures, les précautions les plus élémentaires sont parfois négligées. Y compris (surtout) en cas de travaux. En théorie, avant tous travaux, un repérage plus poussé doit être réalisé, mais les agents de l’Igas mentionnent des opérations de rénovation ou d’entretien sans plan de prévention, sans DTA ou repérage avant-travaux. “Les ISST (inspecteurs de santé et sécurité au travail, ndlr) ont fait le constat que la réglementation relative aux travaux impliquant le risque amiante n’était pas suffisamment connue des responsables de service. Les différents constats révèlent autant de situations à risque tout en mettant en exergue le non-respect des obligations pesant sur le donneur d’ordre ou le chef de service en tant que responsable de la santé et sécurité au travail.”
L’État lance sa “DTA-thèque”
Que la réglementation amiante soit si mal appliquée n’a rien d’une nouveauté. Dans le passé, d’autres ministères ont déjà été épinglés pour leur mauvaise gestion de l’amiante. On pense tout particulièrement à l’Éducation nationale, ou plusieurs études ont montré combien la réglementation amiante restait négligée dans les différents établissements scolaires. Selon une enquête de 2016, 30% des établissements scolaires ne disposaient toujours pas de leur DTA, le b.a.-ba de la prévention amiante.
Et depuis? Difficile à dire, car les ministères concernés ne communiquent pas sur l’amiante. Mais l’État semble (enfin) s’attaquer au problème. Un gigantesque appel d’offres vient justement d’être remporté par la société Sogelink pour constituer une “DTA-thèque”, dans le colossal parc immobilier (plus de 106.000 bâtiments). De quoi donner davantage de visibilité, de quoi réaliser une surveillance régulière des matériaux et produits toxiques, plutôt vital dans une période où la rénovation s’accélère.
Mais tous les bâtiments qui hébergent les services de l’État ne sont pas concernés. Ça vaut pour les écoles, où le bâti appartient aux communes, départements ou régions, ça vaut aussi pour l’enquête présente, puisque l’Igas relève que près de six bâtiments sur dix sont loués à des propriétaires publics. Mais au moins, désormais, l’État va montrer l’exemple…
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