La rénovation des bâtiments, un défi économique inédit

Panneaux solaires

La barre est haute. Un peu plus encore à la lecture du rapport de France Stratégie remis lundi, à la Première ministre. Pour atteindre les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre, il faudra réussir en dix ans ce que l’on avait fait en 30 ans auparavant. Traduit en chiffres, l’effort représente 66 milliards d’euros supplémentaires par an, avec plus des deux tiers dédiés au bâtiment.

Non bien sûr, la transition écologique ne se résume pas à la rénovation énergétique des bâtiments. Le résidentiel-tertiaire représente (seulement) 18% des émissions de gaz à effet de serre, bien moins que les transports (30%), autant que l’agriculture. Mais c’est bien lui qui pèse (et de très loin) le plus lourd sur la facture.

Entre le logement et le tertiaire, les auteurs du rapport remis lundi à la Première ministre chiffrent l’investissement supplémentaire à 48 milliards d’euros par an pour le bâtiment. Pas le choix si on veut tenir les engagements européens, si on veut réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% (par rapport à 1990) d’ici à 2030, et atteindre la décarbonation à horizon 2050.

Pour respecter l’objectif de 2030, cela suppose de « faire plus que doubler le rythme de baisse des émissions par rapport à la période 2010-2020 ». En 2021, les émissions GES du bâtiment étaient estimées à 75 MtCO2 (48 MtCO2 pour le résidentiel, 27 MtCO2 pour le tertiaire). Pour 2030, il faudrait être à 30 MtCO2, « soit une baisse de 45 MtCO2, ce qui représente un effort de -6,7 % par an, trois fois plus qu’au cours de la dernière décennie ». La sortie du fioul ou la réduction des chaudières gaz, directions déjà prises par le gouvernement, devraient très largement y contribuer.

Un quart des chaudières gaz remplacées d’ici 2030

Ambitieux, mais pas impossible à condition que l’investissement suive. Dans le détail, pour remplacer d’ici à 2030 trois quarts des trois millions de chaudières au fioul qui demeurent dans l’Hexagone, l’investissement est estimé à 5 milliards d’euros par an ; 3 milliards si on tient compte que certains de ces équipements arrivés en fin de vie auraient dû être remplacés de toute façon.

Avec l’arrêt de l’installation de nouvelles chaudières au gaz à partir de 2026, France Stratégie estime également qu’un quart des 12 millions d’équipements recensés en France pourraient être remplacés, pour un investissement de 8 milliards d’euros par an (3 milliards d’euros d’investissement supplémentaires).

Mais le plus gros contingent des dépenses dans le logement est formé par les rénovations des passoires énergétiques : 15 milliards d’euros chaque année. Au total, l’investissement supplémentaire associé aux mesures de réduction des émissions dans le résidentiel serait donc de 21 milliards d’euros par an à horizon 2030. Ajoutons le tertiaire, 27 milliards d’euros d’investissements supplémentaires, dont 10 milliards d’euros pour les bâtiments publics, le coût de la transition écologique est estimé à 48 milliards d’euros pour l’ensemble du bâtiment.

Un effort difficilement soutenable pour les ménages

À l’échelle des ménages, cette transition écologique se heurte à une réalité financière. Car à la chaudière à changer, à la maison à rénover, il faut aussi ajouter la voiture électrique à financer. Tout ça en l’espace de quelques années, l’effort est difficilement supportable des ménages. Prohibitif même, pour les plus modestes comme ceux des classes moyennes.

« Même si l’investissement est rentable, par les économies d’énergie qu’il permet, il n’est pas nécessairement finançable sans soutien public. Le coût économique de la transition ne sera politiquement et socialement accepté que s’il est équitablement réparti », expliquent les auteurs du rapport. Autant dire que les finances publiques seront largement mises à contribution. Le supplément de dépenses publiques induit par la transition climatique à l’horizon 2030 est ainsi estimé entre 25 et 34 milliards d’euros par an.

Comment financer cette coûteuse transition? Par la dette publique? Par un accroissement des prélèvements obligatoires? Le rapport de France Stratégie n’écarte aucune option. Un vrai casse-tête. Pourtant ne rien faire risquerait de coûter encore plus cher pour s’adapter et absorber les dommages causés par le changement climatique.

Les incidences économiques de l’action pour le climat, Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz, France Stratégie, mai 2023.