L’État, un propriétaire immobilier peu exemplaire 

Faites ce que je dis, pas ce que je fais. L’État source de l’abondante réglementation qui pèse sur le bâtiment, apparaît pourtant un bien mauvais élève. Un récent rapport de la Cour des comptes sur la gestion du parc immobilier étatique, pointe du doigt des retards à tous les étages dans l’application des réglementations. En matière de performance énergétique, comme pour l’accessibilité ou même la gestion de l’amiante, le parc immobilier de l’État se retrouve en dehors des clous.

C’est un parc gigantesque. Plus de 192.000 bâtiments, 94,4 millions de m², avec une diversité qu’on ne soupçonne pas toujours : des ministères, des bureaux, des casernes, des établissements recevant du public (ERP), des commissariats, des tribunaux, des établissements d’enseignement supérieur, des logements (18 millions de m² tout de même)… Des bâtiments qui dépassent parfois 50.000 m², mais aussi souvent de très petits bâtiments (40.000 au total) avec une surface inférieure à 100 m².

Un mur d’investissements

Peu importe la taille ou leur vocation, l’État reste un propriétaire comme les autres avec des édifices soumis aux mêmes réglementations quand on parle d’accessibilité, d’amiante ou de rénovation énergétique. Un propriétaire qui est censé afficher une exemplarité dans l’application des réglementations qu’il produit. Malheureusement, « des retards et des carences » s’accumulent à tous les étages. Alors que les normes et réglementations s’empilent avec des objectifs toujours plus ambitieux « l’immobilier de l’État voit aujourd’hui se dresser devant lui un « mur » de mise aux normes et d’investissement ».

En matière de performance énergétique, d’abord, puisqu’on ne parle plus que de ça aujourd’hui. Beaucoup d’ambitions ont été affichées depuis le Grenelle de l’environnement, sans cesse repoussées. Dix ans de perdus. « Ce n’est qu’à la faveur du plan de relance engagé fin 2020 et dans le cadre du plan exceptionnel de sobriété lancé en 2022 (qui a atteint en 2023 son objectif de réduction des consommations de 10 %) qu’une impulsion semble avoir été donnée », relève la Cour des comptes.

Aujourd’hui, l’État est cependant rattrapé par le décret tertiaire qui implique une réduction de 40% des consommations (par rapport à 2010) d’ici à 2030. On en est loin. Les propriétaires de locaux tertiaires (ou leurs preneurs) sont censés renseigner la plateforme Operat chargée de tracer les efforts dans le temps et de s’assurer que tout le monde joue le jeu. Mais l’État reste à la traine. « A l’été 2023, ses déclarations ne couvriraient que 20 % à 30 % des surfaces concernées », note la Cour des comptes. Pour rappel, les propriétaires avaient pourtant jusque septembre 2021 (échéance repoussée à fin 2022) pour effectuer leur déclaration.

Les logements F et G de l’État à niveau pour… 2030

Même topo pour les logements. L’État se trouve piégé par sa propre réglementation alors que presque un tiers des logements domaniaux utiles (7.800) sont identifiés comme des passoires thermiques. C’est bien plus que pour le reste du parc immobilier national. « Le positionnement était encore plus mauvais pour la performance climatique : 48% en classes F ou G pour les émissions de gaz à effet de serre, contre 20% au niveau national », relève la Cour des comptes. Autant dire que l’État devra mettre les bouchées doubles, et rénover plus que n’importe quel autre propriétaire.

Justement, un plan a été élaboré pour une remise à niveau des performances énergétiques et climatiques dans les logements, mais d’ici… 2030. C’est-à-dire au-delà des exigences réglementaires qui imposent une classe F minimum dès 2025 et E dès 2028 pour louer un bien. « Dans ces conditions, il convient d’anticiper comment l’État va s’appliquer à lui-même, dans les années à venir, les normes édictées pour l’ensemble des propriétaires de logements », s’interroge la Cour des comptes.

L’État est très en retard. Cela vaut pour la performance énergétique, cela vaut aussi pour l’accessibilité ou l’amiante, repris dans le rapport. La Cour des comptes observe « un retard persistant ».  « Il apparaît ainsi que 48 % des biens rattachés à des établissements recevant du public (ERP) ne sont toujours pas aux normes réglementaires d’accessibilité, même si environ un tiers d’entre eux sont considérés en pratique comme fonctionnels par leurs utilisateurs. » Alors que l’accessibilité était initialement programmée pour 2015, l’État a bénéficié de neuf ans pour réaliser des Ad’Ap (Agenda d’accessibilité programmée) et surseoir à cette obligation. Enfin, tous les Ad’Ap devraient être réalisés pour 2024. Ce qui ne veut pas dire que tous les bâtiments seront pour autant accessibles aux personnes handicapées. « En matière d’accessibilité, la mise en œuvre des « agendas d’accessibilité » ne devrait s’achever qu’en 2027. »

L’amiante est aussi pointé du doigt. On est encore loin d’une stratégie de désamiantage des bâtiments publics comme il en existe parfois chez nos voisins européens. Alors que chaque bâtiment d’avant 1997 est censé disposer d’un DTA (Dossier technique amiante) depuis fin 2005, dernier délai, l’État en reste à la phase diagnostic.

« Le principal enjeu à ce stade est le recensement, à commencer par la réalisation, la révision périodique et le suivi de mise en œuvre des dossiers techniques amiante (DTA), qui n’est pas disponible aujourd’hui de manière exhaustive. » A ce chapitre, la Cour des comptes note toutefois des progrès accomplis grâce à la DTA-thèque en cours de déploiement, pour parfaire la connaissance amiante dans le parc immobilier de l’État. Un grand pas, car c’est souvent ce qui ressort à la lecture du copieux rapport : en amiante, comme en performance énergétique, et bien d’autres thématiques, l’État méconnait son sujet et a du mal à dresser une photographie de son propre parc.

« La politique immobilière de l’Etat. Une réforme nécessaire pour aborder les enjeux à venir », Cour des comptes, décembre 2023.

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