C’est presque un paradoxe. On en parle de plus en plus, la rénovation énergétique la rend plus menaçante encore, mais l’arsenal pour lutter contre le fléau de la mérule demeure d’une grande pauvreté. Des diagnostics existent, des traitements aussi, mais la réglementation ne prévoit rien en dehors d’une information risque mérule qui, dix ans après sa création, a largement montré son inefficacité.
C’était en 2014, la loi Alur accouchait de l’information risque mérule, promesse d’une plus grande transparence dans les ventes. Un premier pas. Un propriétaire déclare l’infestation d’un bien en mairie qui transmet à la préfecture qui prend un arrêté délimitant une zone de risque d’infestation. L’information n’avait pas la valeur et la précision d’un diagnostic, mais au moins, quelque chose existait à présent.
Dix ans ont passé. Cette information risque mérule paraît aujourd’hui bien désuète. En mars, le Cerema a dévoilé une cartographie des arrêtés préfectoraux pris depuis dix ans. Un rapide coup d’œil montre toute la stérilité du dispositif. Très peu d’arrêtés, et aucun dans des départements que l’on sait pourtant archi-infestés comme le Nord, le Pas-de-Calais, la Manche, le Calvados, l’Ille-et-Vilaine… Et pour les départements où un arrêté existe, l’infestation se cantonne à quelques communes, et le plus souvent même à quelques parcelles cadastrales. Comme si la mérule se souciait des limites administratives.
On est loin, très loin, du compte. Selon un travail mené par le FCBA et les professionnels du traitement de la marque CTBA+, dans certains départements, plus de la moitié des communes seraient pourtant infestées ! Dans les Côtes d’Armor, dans le Nord, en petite couronne… où il n’existe pourtant aucune arrêté mérule.
La mérule honteuse
Victor Sabet, gérant de Fongilab, laboratoire spécialisé dans l’analyse des champignons, constate à son tour l’inefficacité du dispositif. Sur le papier, l’information mérule pouvait sembler pertinente, en pratique c’est une autre paire de manches. Ça bloque à tous les étages. Encore faut-il que le propriétaire, souvent profane, sache à quoi il est confronté. « Beaucoup de gens vont réparer la fuite, remplacer les bois pourris, sans forcément savoir qu’il s’agissait d’un champignon. »
Et puis même si la mérule est identifiée, quel propriétaire va effectuer une déclaration en mairie, sachant qu’il a dévalorise son patrimoine ? Autant se tirer une balle dans le pied. « Les gens vivent aussi la mérule comme une honte », ajoute Victor Sabet. Comme si le champignon était le fruit d’un manque d’hygiène. « Les clients qui nous appellent nous demandent souvent ce que nous faisons des données, craignant que nous les transmettions à un tiers. »
Cela bloque au niveau des particuliers, cela bloque aussi parfois auprès des mairies. Le gérant de Fongilab a un cas en tête : « j’ai un client qui a fait sa déclaration en mairie voilà deux ans, et pourtant aucun arrêté n’a été pris. » Personne n’a vraiment intérêt à en parler, les particuliers qui craignent de ne plus vendre leur maison, les professionnels de l’immobilier, les élus qui n’aiment pas trop savoir que leur territoire est infesté, les assureurs qui refusent d’indemniser…
Diag mérule ? Le ministère n’en veut pas
Pourtant, la mérule est bien présente. Et elle semble même gagner du terrain. « C’est aussi parce qu’on en parle de plus en plus et qu’on la recherche davantage », relève Victor Sabet. « Les états parasitaires sont beaucoup plus nombreux aujourd’hui. Même si le diagnostic n’a rien d’obligatoire, beaucoup de notaires prennent les devants afin de sécuriser les ventes. » Ne nous y trompons pas, bien que l’état parasitaire ait une vocation très large qui lui demande d’identifier tous les agents de dégradation du bois, en réalité c’est souvent « un diagnostic mérule » qui est demandé. « Ce que les clients veulent savoir, c’est s’il y a de la mérule ou non. » C’est elle qui inquiète.
On en parle de plus en plus, et ce n’est sans doute pas fini. Car le champignon profite de la rénovation énergétique. « Le grand classique, c’est lors du remplacement de menuiseries anciennes, où on supprime une entrée d’air. Ou le soupirail de la cave que l’on bouche, poursuit Victor Sabet. Dès que l’air arrête de circuler, le champignon se retrouve dans des conditions propices de développement. » Avec des maisons de plus en plus étanches, et aussi des matériaux d’isolation pas toujours bien mis en œuvre ou inadaptés, la mérule semble donc promise à de beaux jours.
Et si on instaurait un diagnostic de la mérule comme il en existe déjà un pour les termites obligatoire dans certains départements ? La question a naturellement été posée au moment de la loi Alur en 2014, elle resurgit régulièrement portée par des parlementaires de régions particulièrement infestées. Victor Sabet y est favorable : pourquoi ne pas imaginer un diagnostic obligatoire partout en France, mais limité aux termites et à la mérule, les agents les plus destructeurs et les plus redoutés ? « Ce serait déjà un pas énorme. »
Jusqu’à présent, le ministère s’y est toujours refusé estimant qu’un diagnostic mérule digne de ce nom sous-entend des sondages destructifs peu envisageables dans un contexte de vente. Faux, estime Victor Sabet. « Quand l’état parasitaire est réalisé dans les règles de l’art, en suivant scrupuleusement la norme, le diagnostiqueur trouve. »
Tous les champignons ne sont pas des mérules
Un champignon à la maison, c’est forcément une mérule. C’est bien souvent le seul qui parle au grand public, alors on a tendance à le voir partout. Mais beaucoup de champignons présentés comme des mérules n’en sont pas.
L’identification des champignons est affaire de spécialiste. « Si je vous montre une pomme, vous pourrez facilement identifier l’arbre, explique Victor Sabet, gérant de Fongilab. Si je vous montre une branche sans feuilles, en revanche, c’est beaucoup plus compliqué. » C’est exactement la même chose pour les champignons. « Lorsque vous n’avez que du mycélium, il est très difficile de distinguer l’espèce. »
Seule une analyse en laboratoire, par microscopie ou par ADN (« les deux méthodes ont leurs avantages et inconvénients »), permet d’écarter le doute. Et cela peut être précieux de savoir à qui on a affaire car tous les champignons ne se valent pas : d’une espèce à l’autre, le coût de traitement n’a rien à voir. Y compris au sein de la famille des cinq mérules recensées par la littérature : « la mérule épineuse n’a rien à voir avec la mérule pleureuse, et reste très facile à éliminer. »
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