Sauvons la planète, commençons par éliminer les passoires énergétiques, les G d’ici 2025, les F avant 2028. La rénovation levier de cette souveraineté énergétique chère aux candidats, devient un enjeu du prochain quinquennat. Mais si on veut tenir les échéances de la loi Climat et résilience, le futur Président de la République et son gouvernement devront très vite corriger le tir. Car les ambitions de rénovation paraissent impossibles à tenir avec les moyens actuels déployés. Quatre bonnes raisons.
Parce que le nouveau DPE donne beaucoup plus de passoires que prévu
Oups, les pouvoirs publics ont commis une petite erreur d’appréciation. Oh rien, presque rien, tous les scénarios de rénovation énergétique reposaient sur un stock de 4,8 millions de passoires énergétiques à rénover avant 2028, mais à l’arrivée on en compte quelques millions de plus. Combien au juste ? Sept à huit millions de logements en F et G, et parfois un peu encore selon certains professionnels du secteur du diagnostic. Du simple au double ou presque.
Rénover 4,8 millions de passoires énergétiques avant 2028, ça semblait déjà difficile aux yeux des professionnels de l’immobilier, mais ça restait jouable. Alors imaginez qu’on leur en rajoute 2 ou 3 millions de logements supplémentaires. Pas sûr que cela passe.
Et les correctifs apportés en catastrophe à l’automne à la méthode de calcul du DPE, comme la réédition des diagnostics –pas aussi massive qu’escomptée- risquent de ne pas y changer grand-chose car d’après les premiers retours, les changements d’étiquettes se feraient uniquement à la marge. Moralité, ce n’est pas 4,8 millions de logements qu’il faudrait à rénover avant 2028, mais plutôt 7 à 8 millions.
Parce que la rénovation coûte cher et que les aides ne sont pas toujours suffisantes
Rénover coûte cher. Comptez plusieurs dizaines de milliers d’euros en moyenne, selon les estimations courantes. Oui, mais les économies d’énergie, les substantiels gains réalisés sur la facture énergétique, ne vont-ils pas financer cette rénovation? En théorie… Car en pratique, les retours sur investissement sont longs, très longs, et parfois même totalement hypothétiques. D’après de savantissimes études, même après 30 ans, un quart des rénovations n’est toujours pas rentable.
Le propriétaire peut aussi compter sur un coup de pouce de l’État avec notamment MaPrimeRénov’, star des aides de rénovation énergétique avec plus de 750.000 dossiers traités en 2021. Sauf que la prime de transition énergétique, et plus globalement les aides de l’Anah, profitent d’abord aux ménages les plus modestes. Pour se faire une petite idée, un couple qui a la chance d’habiter la province doit afficher moins de 21.760 euros de revenus pour espérer bénéficier de la prime à plein et d’un reste à charge réduit à la portion congrue.
Pourtant, contrairement à une idée reçue, une bonne partie des propriétaires de passoires énergétiques n’est pas en situation de précarité énergétique. Pour dire les choses autrement, ce n’est pas parce qu’on habite un logement F ou G qu’on n’a pas les moyens. En fait, c’est même le contraire, puisque 58% des occupants de passoires énergétiques sont des ménages intermédiaires voire à hauts revenus selon une récente enquête. Autrement dit, six ménages sur dix pratiquement ne pourront pas compter sur les largesses de la puissance publique et devront financer cette rénovation, en grande partie sur leurs propres derniers… Problème.
Parce qu’on n’a pas encore trouvé la formule magique pour rénover les copropriétés
Dans le lot des passoires à rénover dans les prochaines années, il y a aussi un gros paquet de logements en copro. Or, la rénovation des copropriétés tourne au casse-tête pour les gouvernements successifs. Comment concilier des intérêts parfois (totalement) divergents entre un propriétaire occupant et un propriétaire bailleur ? Sans compter que tous ces heureux propriétaires n’ont peut-être pas les mêmes moyens financiers.
Qu’à cela ne tienne, l’État déploie un arsenal taillé sur mesure rien que pour les copropriétés. Côté aides, MaPrimeRénov’ est désormais ouverte aux copropriétés, mais peine vraiment à décoller avec, seulement quelques milliers d’aides octroyées en 2021. La loi Climat et résilience a aussi prévu d’autres outils avec un DPE collectif et un plan pluriannuel de travaux (PPT) pour éclairer et inciter les copropriétaires à mener des travaux dans leur immeuble. Très bien. Mais aussi pertinents soient-ils, ces outils ne sont toujours pas coercitifs, juste informatifs. Et surtout, ils n’arriveront pas avant 2025 pour les copropriétés les plus modestes (moins de 50 lots) qui constituent aussi la grande majorité du parc hexagonal. Quand on songe que la première échéance pour l’interdiction de location des logements en G arrive justement en 2025, ça fait court. D’autant que les mécanismes de décision en copropriété sont généralement longs. Pour ne pas dire fastidieux.
Enfin, au chapitre copropriétés, on sent le gouvernement un tantinet embarrassé. Oui, les logements en copro classés F ou G ne seront plus décents, mais le propriétaire pourra quand même continuer à les louer… Une dérogation est ainsi accordée aux copropriétaires de logements F et G, qui auraient voulu rénover leur logement, mais qui n’auraient pas pu parce que la copropriété ne l’a pas votée.
Parce que le BTP n’a pas la possibilité aujourd’hui d’absorber un tel volume
On récapitule, un million de passoires thermiques à rénover chaque année d’ici à 2028, en théorie. Avec parfois, des travaux un peu plus conséquents que le simple changement d’une chaudière ou le remplacement de menuiseries. Les quelque 700.000 MaPrimeRénov’ distribuées en 2021 auraient permis de sortir à 2.500 logements de leur statut de passoire énergétique, si on en croit la Cour des comptes. Autant dire qu’il va falloir mettre les bouchées doubles, les prochaines années pour atteindre les centaines de milliers de rénovations performantes promises par les candidats.
Question toute bête : le secteur du BTP peut-il absorber cette manne de travaux et d’activité supplémentaire ? Car il faudra de la main d’œuvre, beaucoup de main d’œuvre en plus, et formée de surcroît. En 2018, une étude de l’Ademe évoquait ainsi des créations d’emplois pouvant aller jusqu’à 900.000 postes d’ici à 2050. Rien qu’entre 2020 et 2022, avec son plan de relance post Covid, le gouvernement estimait que 55.000 emplois pourraient être créés pour absorber la rénovation.
Engagez-vous, engagez-vous. Plus facile à dire qu’à faire. Car à une pénurie de matériaux et produits en tout genre, une pénurie de main d’œuvre semble déjà se dessiner. Le BTP commencerait à manquer de bras et de cerveaux. Selon une enquête OpinionWays diffusée à l’automne de 2021, plus de six entreprises sur dix déclaraient avoir déjà refusé un chantier faute de main d’œuvre. Encore un écueil et non des moindres, sur lequel la rénovation risque aussi de buter…
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