« 4,8 millions de passoires énergétiques, ce n’est pas très crédible »

Arrêt sur le son, le podcast se lit aussi. Retour sur l’interview d’Olivier Sidler, porte-parole de l’association négaWatt, et sur le débat autour du nombre de passoires énergétiques entre les experts de terrain et le gouvernement. 4,8 millions d’un côté, de 7 à 8 millions de l’autre. Sacré gap. Comment on arrive à ses résultats? Pourquoi une telle différence ?

4,8 millions de passoires énergétiques selon les autorités…

“Le nouveau DPE est entré en fonction le 1er juillet dernier, les diagnostiqueurs ont commencé à faire des diagnostics et tout le monde a dit “ouh là là, il y a beaucoup trop de logements de classe F et G”. Mais comment peut-on juger s’il y a beaucoup ou pas beaucoup de logement en classe F et G? Par rapport à quoi ?

Il faut bien comprendre que l’étiquette a changé, avec aujourd’hui deux paramètres qualifiants: la consommation d’énergie par m², comme avant, mais aussi les émissions de gaz à effet de serre. Les plus mauvais de ces paramètres détermine la classe énergétique du logement, c’est le premier changement. Le deuxième, c’est le changement des bornes, notamment la classe G qui était avant à 450 kWhEp/m²/an, est descendue à 420.

Je ne vois donc pas très bien comment même un bon expert pourrait dire dans quel sens ça va aller et s’il y aura plus ou moins de logement F et G. Donc déjà, ce mouvement m’a surpris, car je ne vois pas comment on peut affirmer qu’il y a trop de passoires énergétiques.”

“C’est une erreur d’évaluation qu’il faut corriger rapidement et vous allez voir que les corrections qui ont été apportées récemment à la méthode du DPE ne vont rien de changer. Dans trois mois, il y aura toujours autant de logements en classe F et G.”

Plutôt sept à huit millions selon les associations

“Pour se faire une idée, il faut revenir à l’évaluation qui a été réalisée à deux reprises, du nombre de logements par classe énergétique. Un premier travail, très sérieux, a été mené sur le terrain par les ingénieurs du bureau de contrôle Veritas, c’était l’enquête Phebus. A l’époque, ils ont estimé qu’il y avait environ 8 millions de logements en classe F et G. Mais en 2020, le gouvernement a lancé une autre étude donnant le chiffre de 4,8. L’écart est très important. Quand on regarde bien, je le dis très franchement, la méthode utilisée n’est vraiment pas très claire, pas très précise et plutôt contestable. Mais je ne suis pas étonné de la démarche car il s’agissait de réduire le nombre de logements en classe F et G, puisque dans la loi Climat et résilience, ces logements devaient sortir du parc locatif.

C’est une erreur grave de la part du ministère de la Transition écologique ! C’est une erreur d’évaluation du nombre de logements dans chaque classe énergétique, c’est-à-dire qu’il n’y a pas 4,8 millions de logements en F et G, mais plutôt 7 millions de logement. Une équipe de chercheurs de l’École des Mines de Paris a d’ailleurs confirmé ce chiffre de 7 millions.

Je pense qu’il y avait une volonté de minimiser le nombre de passoires énergétiques, car cette estimation de 4,8 millions n’est pas très crédible. Pour neutraliser l’enquête Phebus, on entend ici et là qu’elle n’est plus d’actualité, obsolète ou encore démodée. Qu’on ne peut la réactualiser. C’est faux. Il suffit de tenir compte des logements neufs construits depuis 2012, puis de retirer quelques logements qui ont été un petit peu rénovés. On arrive effectivement à 7 ou 8 millions de logements. C’est une erreur d’évaluation qu’il faut corriger rapidement: vous allez voir que les corrections qui ont été apportées récemment à la méthode du DPE ne vont rien de changer. Dans trois mois, il y aura toujours autant de logements en classe F et G.”

“Il faut mener une rénovation sur l’ensemble du parc de logements construits avant l’an 2000. Il y en a 21 millions à rénover d’ici 2050, un peu plus de 700.000 par an en moyenne.”

Derrière le DPE et son algorithme, l’enjeu de la rénovation…

“Les mauvaises mesures ont été prises dans la loi Climat et résilience. Elle était censée reprendre les propositions de la convention citoyenne, une avancée sur le plan de la démocratie, sauf qu’on s’est assis sur toutes ces mesures comme l’obligation de rénovation des logements au niveau BBC. La loi demande de ne plus louer des logements de classe F et G en 2028 ou en 2025, c’est tout ! C’est très décevant, ce n’est pas à la hauteur des enjeux…

Il faut mener une rénovation sur l’ensemble du parc de logements construit avant l’an 2000. Il y en a 21 millions à rénover d’ici 2050, soit un peu plus de 700.000 par an en moyenne. Il faut rendre obligatoire la rénovation, l’incitation c’est seulement 5% de ce que vous devriez rénover chaque année, autant dire rien. Mais il faut que cette rénovation devienne acceptable pour tous les Français, et pour qu’elle soit acceptable, un financement doit être proposé à chaque famille sans exception. Il ne sera attribué que si les rénovations sont complètes et performantes, c’est-à-dire au niveau BBC.

Quand vous isolez au niveau BBC, selon les campagnes de mesures, nous arrivons à des consommations inférieures à 50 kWhEp/m²/an. Nous obtenons alors des économies d’énergie suffisantes pour financer le remboursement d’un emprunt à taux zéro. Selon nos estimations, il en couterait de 2 à 3 de milliards par an à l’État pour financer ces prêts à taux zéro pour 700.000 rénovations par an. Qu’est qu’on attend? C’est une question de choix très politique.”