Évidemment, un logement où on respire des fibres d’amiante à pleins poumons sera considéré comme non décent. Mais si cet amiante demeure en bon état, peut-on considérer qu’il n’existe aucun risque pour la santé? La justice a hésité, finalement, la cour d’appel de Nancy donne raison au bailleur social. Ce n’est pas parce qu’on a de l’amiante chez soi que l’on est en danger et que l’on peut se dispenser de payer ses loyers.
Déjà atteinte de plaques pleurales, cette locataire des Vosges était sans doute plus sensible au risque amiante que d’autres. Alors quand l’entreprise de ramonage sollicitée pour une banale opération sur une conduite de ventilation a refusé d’intervenir suspectant la présence d’amiante, cette sexagénaire a remué ciel et terre.
Un diagnostic aux frais de la locataire confirmera la présence de matériaux et produits non dégradés contenant de l’amiante dans la salle de bain. Rien de surprenant, beaucoup de logements sociaux construits avant 1997 renferment encore de l’amiante. Pour le bailleur, aucun danger cependant: la mesure d’empoussièrement réalisée par un expert dans les semaines suivantes a donné 0,3 fibre d’amiante par litre, loin, très loin du seuil de 5 fibres par litre imposé par le Code de santé publique.
Ayant d’abord demandé à changer de logement, la locataire a fini par quitter son appartement abandonnant ses effet personnels et arrêtant de verser les loyers. D’un côté, le bailleur réclame le paiement des loyers de janvier à septembre 2019. De l’autre, la locataire dénonce la présence d’amiante dans le logement loué. Elle réclame la prise en charge de la décontamination de ses affaires et à défaut le remplacement des meubles “atteints par la poussière d’amiante” ainsi que le remboursement des loyers versés de juin 2018 à janvier 2019.
Total revirement en appel
Devant le tribunal d’Épinal, la locataire obtiendra d’abord gain de cause. “La seul présence de fibres d’amiante dans l’air d’un local d’habitation, au sein duquel son occupant est amené à y passer un temps négligeable, est incompatible avec l’obligation du bailleur de délivrer un logement ne présentant pas de risques manifestes pour la santé.” Peu importe que l’on soit en dessous du seuil de santé publique, le logement est donc considéré comme non décent. Plutôt fâcheux, quand on sait que des centaines de milliers de locataires en France continuent chaque jour à cohabiter avec des matériaux amiante.
On l’imagine, le bailleur social ne pouvait en rester là. Que ce jugement fasse tâche d’huile, et des centaines de milliers de logements sociaux se trouvaient demain non décents. Devant la cour d’appel de Nancy, le bailleur soutient que le logement reste conforme à la réglementation en matière d’amiante. Dès lors, le choix de la locataire de quitter son logement ne l’exonère pas de s’acquitter de son loyer. De son côté, la locataire estime qu’elle ne peut occuper le logement loué pour des raisons de santé car le logement mis à sa disposition porte “atteinte à son intégrité physique et n’est pas conforme à l’usage d’habitation”.
Dans son arrêt rendu début mai, la cour d’appel de Nancy balaye le jugement de première instance. Elle retient “l’absence de dégradation du fibro-ciment de la conduite de ventilation/aération de la salle de bain”, et la présence d’amiante dans l’air mais uniquement dans la salle de bain, et à une concentration presque 20 fois inférieure à ce qu’autorise le Code de santé publique. “Le bailleur n’était soumis, eu égard au résultat des mesures effectuées dans l’appartement (…), à aucune obligation de faire procéder à des travaux de confinement ou de retrait de l’amiante.” “Dans ces conditions, Mme X ne peut utilement soutenir que le logement loué n’était pas conforme à l’usage d’habitation du fait du manquement du bailleur à son obligation de délivrance d’un logement décent et été susceptible de porter atteinte à son intégrité physique.” La locataire déboutée de ses demandes est donc condamnée à payer quelque 2.200 euros au titre des loyers et chargés restés impayés puisque l’amiante en bon état ne rend pas le logement indécent pour autant.
Cour d’appel de Nancy, 5 mai 2022, RG n°21-01675.
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