L’amiante à l’école, un sujet toujours tabou

L’amiante à l’école. Le sujet revient à la faveur des investigations de “Vert de Rage”, la série diffusée sur France 5. L’enquête menée durant neuf mois montre combien la question de l’amiante à l’école demeure tabou et combien malgré des alertes répétitives, et une médiatisation récurrente, le sujet continue à souffrir d’inertie. Même plus de 25 ans après l’interdiction de l’amiante.

On sait qu’il y en a encore, mais on ne sait pas toujours où ni dans quel état il se trouve. La question de l’amiante a des allures d’Arlésienne, revenant régulièrement au devant de la scène. L’ONS (Observatoire national de la sécurité et de l’accessibilité des établissements d’enseignement) satellite de l’Éducation nationale qui a depuis été dissous, avait mené l’enquête en 2016. Plus de huit établissements sur dix construits avant 1997 étaient concernés, mais la réglementation restait très mal appliquée avec pratiquement un tiers d’entre eux dépourvus du précieux DTA (Dossier technique amiante), ce carnet de santé censé tracer l’amiante du bâti, et obligatoire depuis… 2005.

2016, ça commence à dater, l’équipe de “Vert de rage” a donc voulu réactualiser cette enquête. Histoire de voir si la situation s’était améliorée. Durant plusieurs mois, 50.000 écoles et 35.000 mairies ont été contactées puis relancées. La moisson est maigre, avec 15.804 écoles (seulement) pour lesquelles la présence d’amiante a pu être renseignée. Grosso modo, un tiers d’entre elles ne contiennent pas d’amiante, un tiers en contiennent, et pour un tiers, des diagnostics ont été réalisés, mais on ne sait pas trop les conclusions.

L’éternelle inertie

Plus de vingt-cinq ans après l’interdiction de l’amiante en France (1997), la transparence reste donc un exercice fastidieux. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir insisté. Les journalistes de “Vert de Rage” expliquent ainsi avoir relancé les cent plus grandes villes durant huit mois et s’être heurtés à un mur puisque sept villes, seulement, ont répondu. Pourquoi parler de ce qui fâche? Surtout, ne pas inquiéter les parents d’élèves. Ce n’est pas nouveau, le recueil d’informations en matière d’amiante est toujours délicat, déjà en 2016, un établissement sur trois avait répondu lors de la grande enquête de l’ONS.

L’amiante reste un sujet tabou où chacun se renvoie la balle. Du côté de l’Éducation nationale, le bâti scolaire est de la responsabilité des collectivités locales ; du côté des mairies, on attend l’aide de l’État car on ne dispose pas toujours de l’ingénierie et des finances nécessaires pour traiter cet amiante.

Le sujet revient régulièrement sur la table pourtant. En 2019, le lycée Brassens à Villeneuve-le Roi en région parisienne, avait défrayé la chronique, les professeurs exerçant leur droit de retrait après que des morceaux d’amiante se soient détachés du plafond. En 2020, s’appuyant sur le recensement réalisé par l’ONS quatre ans plus tôt, Libération avait lancé une application pour savoir si une école ou non contenait de l’amiante.

Beaucoup de bruit, quelques annonces, mais la situation ne semble guère s’améliorer. Interpellé sur le sujet à plusieurs reprises, le ministre de l’Éducation nationale de l’époque, Jean-Michel Blanquer, avait brandi « une cellule du bâti scolaire » en guise de réponse. Promis, cette fameuse cellule devait se saisir du problème à bras le corps et venir en aide aux mairies.

Cinq ans ont passé depuis ces annonces, la montagne a accouché d’une souris. La cellule « Bâti scolaire » a vu le jour, elle dispose même d’un site internet depuis 2022, mais son action en matière d’amiante reste plutôt discrète: tout juste un livret de quelques pages sorti fin 2022 qui rappelle la réglementation et les bonnes pratiques.

Situations à risques

Qu’il demeure de l’amiante dans les écoles, ne signifie pas pour autant que les élèves courent un danger immédiat. On le rappelle, l’amiante est dangereux seulement si on y touche, ou s’il se trouve dans un état dégradé. D’où la nécessité de repérer sa présence mais aussi de surveiller son état de dégradation dans le temps. Après tout, les matériaux ou produits amiante qui demeurent en place dans les écoles affichent au bas mot au moins 25 ans d’âge désormais.

Dans quel état se trouve l’amiante des écoles? On l’ignore, faute d’un recensement précis. Petit indice, l’équipe de “Vert de rage” a mené différents tests à l’aide de lingettes. Sur 14 écoles étudiées, 11 prélèvements ont révélé la présence d’amiante, dont 5 inquiétants. Difficile de tirer des conclusions sur un si maigre échantillon, mais il est certain que les situations d’exposition à l’amiante perdurent dans les écoles.

Un autre rapport mené par des inspecteurs santé et sécurité au travail (ISST) en 2018, montrait non seulement combien la réglementation restait mal appliquée, mais que l’amiante se trouvait souvent dans des situations dégradées : sur 154 écoles contenant de l’amiante, 22% renfermaient un ou plusieurs matériaux dégradés.