Pourquoi le DPE est injuste avec le bâti ancien

Maisons normandes

Plus c’est vieux, moins c’est performant. Cette croyance que le bâti ancien serait passoire énergétique est pourtant fausse. Le DPE se montre injuste avec les bâtiments construits avant 1948. Pour Gilles Alglave, président de Maisons Paysannes de France, association d’utilité publique pour la sauvegarde du patrimoine, il y a eu un peu trop de précipitation, et aussi un mauvais calibrage de la méthode de calcul.

Maisons paysannes part en croisade. Il faut sauver le bâti ancien. Non pas des affres du temps, mais plutôt de la précipitation. Pour Gilles Alglave, les racines du mal sont d’abord là. Cette rénovation appelée de tous les vœux politiques depuis quinze bonnes années a trop trainé, si bien qu’il faut maintenant rattraper le retard, et mettre les bouchées doubles pour répondre aux injonctions européennes.

L’erreur nait souvent de la précipitation. La réforme du DPE 2021 ? « On n’a pas associé toutes les parties prenantes », regrette le président de Maisons Paysannes de France. « Le ministère de la Culture n’est pas le plus écouté aujourd’hui, c’est le ministère de la Transition écologique qui donne le La. » Moins de deux ans après son entrée en vigueur, ce manque de concertation avec les acteurs du patrimoine se traduit par un nouveau DPE pénalisant pour l’ancien.

Selon l’Observatoire de l’Ademe, six diagnostics sur dix réalisés dans la construction d’avant 1948 écopent d’un E (29%), d’un F (17%) ou d’un G (14%). Gilles Alglave s’inquiète des conséquences de ce classement peu flatteur et synonyme de rénovation à court ou moyen terme. « Près de chez moi, une maison en pans de bois est actuellement rénovée avec un parement en briques et entre les deux du polystyrène. On réalise une façade étrangère au bien. Le prêt à isoler n’est pas conforme au bâti ancien. »

L’ancien déjà performant

Ni la rénovation uniforme, d’ailleurs. Car en rénovant de l’ancien comme on rénove aujourd’hui des maisons des années 60-70, on risque de faire pire que mieux. « Le bâti ancien est fait à partir de matériaux tirés du sol, terre crue, pierre, bois… Ils sont sensibles à l’humidité, ils ont besoin de respirer. La maison ancienne réagit avec son environnement et vit très bien tant qu’on ne vient pas la perturber. » Cette inertie, ces qualités hygrométriques ne sont pourtant pas reconnues par le DPE.

Le diagnostiqueur n’y est pour rien. « Des enduits chaux-chanvre de 5 cm n’existent pas dans les logiciels actuels. Le diagnostiqueur le sait, mais il ne peut pas les renseigner. Ces enduits ont pourtant de réelles vertus puisqu’ils diminuent la sensation de paroi froide », explique Gilles Alglave.  « L’actuelle méthode de calcul ne correspond pas au bâti ancien. Les logiciels sont statiques, pour apprécier la performance réelle du bâti ancien, nous avons besoin d’un modèle dynamique. » Comme l’avait fait, au début des années 2010, l’étude Batan souvent citée en référence au cours de ces derniers mois.

Scientifiquement menée par le Creba (Centre de ressources pour la réhabilitation responsable du bâti ancien), cette étude avait mesuré la réelle performance énergétique d’un panel de bâtiments, à la ville, à la campagne, dans différentes régions et de diverses époques. « Le bilan a permis de constater que ces bâtiments classés dans les étiquettes les plus basses par le DPE étaient en réalité en D voire en C », poursuit Gilles Alglave. Des outils existent adaptés à l’ancien, comme le logiciel Wufi développé outre-Rhin, mais plus complexe à utiliser que la méthode 3CL avec davantage de données d’entrée. Ce qui sous-entend de former les diagnostiqueurs mais aussi de revoir le prix d’un DPE voulu « bon marché » par les pouvoirs publics. « Il est nécessaire de se remettre autour de la table pour faire quelque chose en accord avec le bâti ancien. »

Vers de nouveaux aménagements au DPE?

Pour les défenseurs du patrimoine, ce travail est aussi urgent qu’indispensable si on ne veut pas que la rénovation se révèle contre-productive, faute d’un diagnostic non adapté. « Ces bâtiments sont déjà performants, plaide Gilles Alglave. Parler d’eux comme des passoires thermiques, c’est insupportable. Au lieu d’être mis à l’index, il faudrait mettre en avant leurs qualités intrinsèques et s’en inspirer. » C’est presque une profession de foi. « La vraie écologie est celle de nos anciens qui construisaient déjà en bioclimatique avec des ressources naturelles locales et un faible bilan carbone. »

Gilles Alglave ne demande pas à mettre le bâti ancien sous cloche, mais juste qu’on le respecte et que l’on adapte la rénovation. « On ne dit pas que ces maisons sont parfaites, qu’il n’y a rien à faire pour améliorer la performance énergétique, mais nous devons veiller à ne pas faire n’importe quoi. »

Avec six autres associations du patrimoine, Maisons Paysannes de France a réclamé un moratoire sur le diagnostic. Oui, cela paraît difficile aujourd’hui, alors que la rénovation est lancée à tout-va. Gilles Alglave en a conscience. En revanche, il reste optimiste sur de futures aménagements apportés à l’actuel DPE. « Je pense que l’on s’achemine vers une adaptation du DPE à l’ancien. »