Des fautes en cascade. Le donneur d’ordre disposait d’un diagnostic, mais il ne l’a pas communiqué. Et l’entreprise comme son sous-traitant intervenant sur une toiture en fibrociment amiante ne l’a pas réclamé. Face à la justice et à l’ampleur du préjudice qui avoisine les 670.000 euros, chacun se renvoie désormais la balle.
L’amiante coûte cher, mais il peut coûter encore plus cher lorsque les travaux ne sont pas menés dans les règles de l’art. C’est le cas sur cet ensemble immobilier constitué d’un entrepôt et de bureaux dans la région lyonnaise.
En 2014, le propriétaire lance des travaux pour réaliser une sur-couverture en bac acier. Le chantier est confié à une première entreprise qui sous-traite la pose des puits de lumière à une seconde. Le donneur d‘ordre dispose d’un diagnostic attestant de la présence d’amiante dans la toiture, mais il ne le communique pas et aucune des deux entreprises intervenantes ne le réclame. L’amiante est présent, mais personne ne semble s’en soucier.
A tel point que sans aucune protection, une partie la toiture fibro amiante est découpée à l’aide d’une disqueuse. Ces travaux de sciage ne figuraient pas au devis, mais après avoir endommagé des tôles fibrociment en déposant des plaques translucides, le sous-traitant a opté pour cette méthode afin de “gagner du temps“, expliquera-t-il par la suite.
1.400 palettes contaminées
Mauvaise idée. Alertée, l’inspection du travail ordonne aussitôt l’évacuation du site et exige que soit procédé à un désamiantage. Le mal est fait, les dégâts se chiffrent à des centaines de milliers d’euros. Car dans l’entrepôt loué à une société, se trouve un important stock de marchandises. Les mesures réalisées révèleront « une pollution généralisée des racks de stockage et palettes situés dans l’entrepôt aux paillettes d’amiante chrysolide (sic) ». Impossible de disposer du stock, impossible de livrer les clients dans les délais.
Dans l’urgence, le locataire a donc sollicité une société spécialisée pour décontaminer son stock de plus de 1.400 palettes. Montant de la facture, un peu plus de 500.000 euros dont il réclame, forcément, la prise en charge à son bailleur. A cela s’ajoute encore les pénalités de retard versées aux clients, les frais de déménagement, la perte d’exploitation puisque l’entrepôt a été fermé et les salariés évacués sur injonction de l’inspection du travail. Au total, la facture s’élève à plus de 670.000 euros.
Qui va payer ? Face à la justice, tout le monde se renvoie la balle. Le bailleur estime que l’entreprise a qui il a confié le chantier a engagé sa responsabilité ; celle-ci se défend en invoquant la faute exclusive de son sous-traitant puisque le sciage des plaques de fibrociment ne figurait absolument pas au programme des travaux et que son sous-traitant a agi de son propre chef sans l’informer.
Dans cet imbroglio, la cour d’appel distingue une succession de fautes. Pour commencer, il y a ce diagnostic qui « n’a pas été spontanément communiqué ». « En sa qualité de professionnel de l’immobilier diligentant des travaux », le donneur d’ordre a bel et bien commis « une faute, de nature à engager sa responsabilité, sous réserve toutefois que cette faute soit en lien avec la survenance du dommage ». Car pour la cour d’appel, l’absence de communication du diagnostic n’explique pas le sinistre. Après tout, l’entreprise principale « professionnelle de la construction, intervenant habituellement sur les chantiers de rénovation de toitures, ne pouvait ignorer, a minima, la haute probabilité de la présence d’amiante dans la couverture en fibro-ciment ».
Des responsabilités partagées
La faute revient donc aux deux entreprises intervenantes. Celle du sous-traitant est évidente. « En procédant au sciage des plaques de fibro-ciment, notoirement connues pour contenir de l’amiante, en employant un procédé disséminant beaucoup de poussière et sans adopter la moindre mesure de protection adéquate, alors que son marché mettait la sécurité du chantier à sa charge, la société (le sous-traitant) a commis une faute engageant sa responsabilité contractuelle envers son donneur d’ordre, ainsi que sa responsabilité quasi-délictuelle envers les tiers à son contrat de sous-traitance. »
Mais pour la cour d’appel, l’entreprise principale a également une grande part de responsabilité. « L’entreprise principale est toujours tenue, envers le maître de l’ouvrage, d’assurer la sécurité des travaux prévus à son marché, nonobstant le recours à la sous-traitance », rappellent les juges. « La société (…), chargée de surveiller sa sous-traitante, ne l’a pas empêchée de découper la toiture à la disqueuse. Elle ne justifie pas en outre, avoir donné (…) l’instruction expresse de s’abstenir de toute intervention sur les plaques de fibro-ciment. Elle a manqué en conséquence à son obligation de surveillance et de direction de l’entreprise sous-traitante et doit répondre de sa faute, quand même la découpe des plaques de fibro-ciment serait-elle étrangère à son marché de travaux ainsi qu’au marché de sous-traitance. »
Le bailleur, l’entreprise principale, et son sous-traitant sont donc condamnés. Mais ce sont les deux entreprises qui payeront les pots cassés. L’entreprise principale doit ainsi garantir le bailleur des condamnations prononcées au bénéfice du locataire en réparation du préjudice subi. Et la cour d’appel fixe également sa créance sur son sous-traitant aujourd’hui en liquidation, à 670.000 euros.
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