Pas de travaux sans un repérage amiante ou plomb. Histoire de s’assurer que les salariés ne seront pas exposés à de toxiques poussières. Faute de diagnostics complets, une entreprise fait valoir son droit de retrait en plein milieu du chantier. La justice a tranché, la faute revient exclusivement au donneur d’ordre condamné à indemniser l’entreprise.
Cela devait être un beau chantier. En 2015, une entreprise générale du bâtiment se voit confier les travaux de réaménagement de locaux de back-office, du rez-de-chaussée au troisième étage d’un grand magasin parisien. Montant forfaitaire des travaux : 580.000 euros hors taxes.
L’opération doit s’échelonner de mai à octobre 2015, mais en juillet, les salariés interrompent les travaux et quittent le chantier. Motif invoqué, tous les repérages amiante et plomb n’ont pas été communiqués. Un rapport a bien été transmis à l’entreprise avant que les travaux ne démarrent. Mais il n’est pas exhaustif : il porte uniquement sur un des niveaux sur lesquels la société doit intervenir. Insuffisant.
Ce n’est pas faute d’avoir demandé les diagnostics. L’entreprise les a d’abord demandés au démarrage du chantier, puis à nouveau, en juillet 2015. Sans succès. L’entreprise fait donc valoir son droit de retrait au titre du principe de précaution. Décision qu’elle prend soin de faire valider auprès de l’inspecteur du travail. Qui ne peut que constater l’absence de tous les diagnostics.
En première instance, la justice accorde 50.000 euros à l’entreprise générale du bâtiment. Correspondant aux travaux déjà réalisés, mais rejette toute autre demande estimant que la rupture de contrat lui est entièrement imputable. Le compte n’y est pas. L’entreprise réclame le paiement de l’intégralité des travaux réalisés avant que le chantier ne soit interrompu (209.000 euros). Ainsi que le dédommagement du matériel qu’elle n’a pu récupérer sur le chantier (20.500 euros). Les factures payées aux sous-traitants (30.000 euros)… 291.000 euros TTC au total.
Elle invoque également la perte de chiffre d’affaires suite à la rupture brutale des relations contractuelles. Et réclame le montant du chantier restant dû, 360.000 euros. En face, le maître d’ouvrage réclame des dommages et intérêts. Reprochant à l’entreprise de ne pas avoir exécuté les travaux dans les délais prévus et d’avoir abandonné le chantier.
103.000 euros pour le donneur d’ordre qui n’a pas fourni des diagnostics complets
La cour d’appel de Paris donne raison à l’entreprise qui a abandonné le chantier. Faute de disposer de la totalité des diagnostics amiante et plomb pour tous les locaux concernés par son intervention, elle était en droit de faire valoir son retrait provisoire du chantier afin de protéger ses salariés. D’autant que l’inspection du travail avait donné son aval. « La société (…) ne peut en aucun cas être considérée comme responsable d’un abandon de chantier. Sauf à considérer les dispositions impératives du code du travail comme facultatives et à laisser leur application au bon vouloir des maîtres d’ouvrage. »
Retournement de situation. Et puisque le maître d’ouvrage n’établit aucun manquement de l’entreprise du bâtiment, la cour d’appel prononce la résiliation du marché aux torts exclusifs du donneur d’ordre. L’histoire ne dit pas si le bâtiment compte effectivement de l’amiante ou du plomb. Peu importe puisque le donneur d’ordre n’a pas satisfait à ses obligations. A l’époque, le repérage amiante même s’il n’était pas encadré comme aujourd’hui, tout comme le repérage plomb devaient déjà être effectués au titre de l’évaluation des risques.
L’entreprise de bâtiment n’obtient pas entièrement gain de cause. S’appuyant sur le décompte général définitif établi par le maître d’œuvre, la cour d’appel estime que les 50.000 euros déjà versés correspondent aux travaux effectivement réalisés lorsque l’entreprise a fait valoir son droit de retrait. L’intervenant voit donc ses demandes de dédommagement rejetées.
En revanche, puisque la résiliation du marché n’est pas de son fait, le maître d’ouvrage doit l’indemniser de son manque à gagner. Se basant sur la marge moyenne réalisée par l’entreprise au cours des trois années précédentes, la cour d’appel de Paris condamne donc le donneur d’ordre à verser également la somme de 103.000 euros à titre d’indemnité compensatrice de la perte de marge brute.
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