Jacques Vernier, ancien député-maire de Douai (Nord), est président de la commission des filières de responsabilité élargie des producteurs (REP) en matière de déchets. Il est l’auteur d’un rapport sur « les filières REP » commandé par le ministère de la Transition écologique et remis en 2018.
La REP (Responsabilité élargie du producteur) gagne du terrain. On en comptait une douzaine, leur nombre va quasiment doubler avec la loi Anti-gaspillage et économie circulaire, dite loi AGEC. Avec un gros morceau, celui des matériaux et déchets du bâtiment qui représentent à eux seuls plus encore que l’ensemble des déchets ménagers. Entretien avec Jacques Vernier, président de la commission des filières de responsabilité élargie des producteurs.
La Responsabilité élargie des producteurs, c’est quoi au juste ?
Jacques Vernier: « Producteur est un mot générique, nous devrions plutôt parler de “metteur sur le marché”. Car le terme englobe aussi bien les fabricants, que les importateurs ou les distributeurs, tous ceux donc, qui mettent un produit sur le marché. Avec la REP, le producteur devient donc responsable du produit lorsque celui-ci se transforme en déchet. Peu importe que 30 ou 40 ans se soient écoulés, le producteur doit veiller à sa collecte, son tri, sa valorisation ou son élimination. »
Y compris pour les matériaux qui ont disparu du marché aujourd’hui, comme l’amiante ?
J. V. : « Oui, les producteurs d’aujourd’hui sont responsables des déchets d’hier. Je prends l’exemple des de tubes cathodiques qui ont totalement disparu du marché à l’heure actuelle. Plus personne n’en fabrique, mais les producteurs d’écrans en ont cependant la responsabilité. C’est valable aussi pour les meubles parfois produits des dizaines et des dizaines d’années auparavant, leurs fabricants ont souvent disparu, mais les producteurs d’aujourd’hui ont la responsabilité de les récupérer. Le raisonnement est identique pour les déchets amiantés du bâtiment. »
Retard à l’allumage
Comment les producteurs exercent-ils cette responsabilité ?
J. V. : « Les producteurs peuvent l’exercer de deux manières. Comme les pharmacies qui récupèrent les médicaments, ils peuvent d’abord assurer la collecte, le tri et le recyclage eux-mêmes. Très peu le font. Dans la plupart des REP déjà existantes, les producteurs ont préféré se regrouper et confier la responsabilité à un éco-organisme. Par exemple, Citeo se charge de collecter les emballages des entreprises du secteur de la grande consommation et de la distribution, de les trier et de les recycler. Pour les emballages, la première REP mise en place en 1992, l’essentiel de la collecte est effectué par les collectivités à travers le ramassage des ordures ménagères ou via les déchetteries. L’éco-organisme rétribue alors les collectivités. »
Avec la loi AGEC de 2020, les matériaux et déchets du bâtiment sont aussi concernés désormais…
J. V. : « La loi AGEC représente un bond en avant. Nous comptions douze filières REP (emballages, textiles, équipements électriques…) mises en place en trente ans. En cinq ans, nous doublerons quasiment le nombre de REP avec onze supplémentaires. Le Parlement s’est sans doute montré un peu trop optimiste puisque six de ces nouvelles REP, dont les déchets du bâtiment, devaient être mises en œuvre en l’espace de deux ans. La REP pour les mégots de cigarettes devait entrer en vigueur au 1er janvier 2021, elle a été opérationnelle à partir d’août. Les REP pour les huiles moteur, les jouets, les articles de bricolage et de jardin ou les déchets du bâtiment, étaient annoncées pour le 1er janvier 2022, mais elles connaissent aussi un retard à l’allumage. De quelques mois pour certaines, à sans doute un an pour les déchets du bâtiment. »
Ce retard n’illustre-t-il pas les difficultés à mettre en place une REP pour les déchets du bâtiment ?
J. V. : « L’idée d’une REP pour les déchets du bâtiment remonte au Grenelle de l’environnement. A l’époque, cela semblait impossible. D’ailleurs, lorsque nous avons mis en place le groupe de travail sur la REP déchets du bâtiment, beaucoup ne l’imaginaient toujours pas. Pendant un an et demi, j’ai vu l’évolution chez mes interlocuteurs, parfois hostiles, qui peu à peu acceptaient cette idée de REP de déchets du bâtiment. »
42-44 millions de tonnes par an à collecter, trier, valoriser
Est-ce la grande diversité des déchets issus du bâtiment qui pose souci ?
J. V. : « La difficulté ne vient pas de cette diversité. La REP existe depuis trente ans, les filières électroménagers ou équipements électriques ont su s’adapter à une diversité de matériaux et produits tout aussi importante. La difficulté tient plutôt aux volumes. Avec les déchets du bâtiment, nous parlons de 42-44 millions de tonnes par an à collecter, trier, valoriser et le cas échéant, éliminer. C’est plus encore que l’ensemble des déchets ménagers produits par les Français sur une année.
Pour gérer cette REP, il nous faut donc une infrastructure très importante dotée de points de reprises partout sur le territoire. Cette infrastructure, nous savons la mettre en place, nous avons l’expérience des autres filières. Comme pour d’autres REP, nous pouvons nous appuyer sur les déchetteries des collectivités, les déchetteries professionnelles ou les points de récupération qui seront créés par les distributeurs de matériaux du bâtiment. Le décret publié le 1er janvier 2022, précise ainsi que les éco-organismes doivent proposer un réseau maillé de points de reprises de sorte que chaque particulier ou professionnel en dispose à proximité de chez lui. »
Le secteur du bâtiment a pourtant fait de gros efforts en matière de valorisation de ses déchets avec un taux avoisinant 70%…
J. V. : « Nous devons distinguer la collecte sur la construction, bien meilleure que pour la rénovation ou la démolition. D’autre part, les déchets inertes (béton, briques, tuiles…) restent davantage recyclés que certains déchets non inertes. Pour les métaux, aucun souci, la collecte et le recyclage fonctionnent correctement. Pour le bois, en revanche c’est plus compliqué. En raison des peintures ou des traitements chimiques, le bois se recycle très mal, et la filière ne sera pas simple à mettre en place. Pour les plâtres, les plastiques ou les verres issus du bâtiment, nous sommes aujourd’hui pratiquement à zéro. On peut considérer par exemple que 3 à 4% du verre issu de la démolition et de la réhabilitation est aujourd’hui recyclé. On ne sait pas encore le collecter. Mais les choses bougent. Eco-Mobilier examine par exemple la possibilité de reprendre le bois de la construction. Des éco-organismes se préparent comme Valobat, la REP se met en ordre de marche. »
L’amiante aussi
Tout n’est cependant pas valorisable dans les déchets du bâtiment…
J. V. : « Nous bénéficions de l’expérience acquise avec les autres REP. Les fameuses briques Tetra Pak étaient sans doute une merveilleuse idée pour la conservation du lait ou d’autres denrées, elles se sont révélées très compliquées à traiter, parce qu’elles comportent à la fois du plastique, du carton et de l’aluminium. Les piles au lithium se révèlent problématiques d’autant qu’elles peuvent mettre le feu à des centres de tri. On compte de nombreux exemples de la sorte.
La REP prévoit également une éco-modulation des tarifs dans toutes les filières. Celle-ci aide à déterminer le montant de l’éco-contribution versée par les producteurs à leur éco-organisme. Si des substances dangereuses ont été introduites dans un produit, cette éco-modulation s’applique comme une pénalité. L’idée est ainsi d’encourager la valorisation au maximum. Car pour parler d’économie circulaire, la boucle doit aller jusqu’au bout, avec l’utilisation du déchet dans la fabrication d’un nouveau produit. L’éco-modulation prévoit ainsi également des primes pour encourager les fabricants qui incorporent des matières dans leurs produits. »
Et pour les matières dangereuses? On pense à l’amiante par exemple…
J. V. : « L’amiante fait partie des quelques sujets remontés au plus haut niveau, au cabinet du Premier ministre. Est-ce que les producteurs d’aujourd’hui sont chargés de la collecte d’un matériau et produit interdit depuis 25 ans? Vous connaissez ma réponse, les producteurs d’aujourd’hui sont responsables des déchets produits hier.
Sur les gros chantiers, la prise en charge de l’amiante fonctionne déjà avec des circuits d’élimination bien identifiés. Il n’existe donc aucune raison de toucher à quoi que ce soit. La filière REP prendra donc en charge les déchets amiantés issus des autres chantiers avec une bonne partie du travail qui sera, là aussi, effectuée par les déchetteries des collectivités. Le décret publié le 1er janvier prévoit ainsi que la moitié des installations d’une région puisse à l’avenir également reprendre les déchets dangereux. »
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