Un sinistre peut parfois en cacher un autre. Les violents orages survenus en France ces derniers temps en sont une illustration parfaite: on a vu beaucoup de toitures endommagées, mais on a parlé assez peu d’amiante. Ça vaut pour la grêle, mais aussi pour n’importe quel sinistre, le risque amiante est loin d’être considéré comme il faudrait.
Des grêlons gros comme des balles de tennis. Dans ce reportage de TF1, on aperçoit la toiture percée de toutes parts. Et au beau milieu des débris qui jonchent le sol, le propriétaire des lieux en Saône-et-Loire arpente sa salle de sport en compagnie d’une équipe de tournage. Rien ne dit que les débris de fibrociment qu’on aperçoit au sol contiennent vraiment de l’amiante, il faudrait sans doute une analyse, mais il y a quand même une forte présomption.
Une information trop timide
Après une inondation, un orage, un coup de vent, l’amiante reste souvent négligé: les propriétaires n’y songent pas forcément, les experts ne le signalent pas toujours, et les assureurs ne sont pas enclins à mettre la main à la poche pour couvrir les surcoûts supplémentaires liés à l’amiante. Tout le monde a hâte de nettoyer et d’effacer les dégâts. Le risque amiante existe pourtant pour toutes les populations qui interviennent sur les lieux, pompiers, services communaux, experts en assurance, particuliers, bien sûr.
Yasminka Marcour-Ursa en sait quelque chose, voilà plus de vingt ans qu’elle alerte sur le sujet. Formatrice au Ciefas (Centre d’ingénierie, d’expertise et de formation après sinistres), elle est une des très rares spécialistes en France de l’amiante après sinistre. Si elle concède des progrès au cours des dernières années, il reste encore beaucoup faire. A commencer peut-être par l’information des sinistrés qui sont loin d’avoir conscience du risque amiante en cas de dégâts. “Un assureur va par exemple vous envoyer un SMS pour informer d’un orage de grêle ou d’un aléa climatique, mais il pourrait aussi alerter des risques amiante après le sinistre.”
Les choses évoluent doucement. Fin mai, là aussi après un épisode de grêle, à Châteauroux, la préfecture de l’Indre a diffusé un communiqué pour alerter les propriétaires sinistrés et les enjoindre à prendre des précautions. Qu’il s’agisse de ramasser des débris, d’intervenir sur la toiture en place ou de se débarrasser des déchets, “il est fortement déconseillé de réaliser des travaux par soi-même”, expliquait la préfecture.
Yasminka Marcour-Ursa se réjouit de ce type d’initiative. Car le sinistre accroit souvent le risque amiante. Question de physique et de chimie. “En cas d’incendie par exemple, la chaleur va monter, on peut atteindre une température de 400 à 500 degrés au contact d’une toiture en fibrociment. Avec la dilatation des matériaux, des fibres vont donc être relâchées dans l’environnement.”
Un peu? Beaucoup? Tout dépend. Dans un guide de prévention diffusé en 2016, l’INRS prend l’exemple d’une expertise d’assurance dans un bâtiment sinistré avec une toiture en amiante ciment dégradée par le feu. L’empoussièrement est plutôt conséquent, l’INRS mentionne 290 fibres/litre, c’est-à-dire près de 30 fois le seuil autorisé par le Code du travail. Une telle mesure ne surprend pas notre experte. “Tout dépend du type de sinistre, de son intensité, mais nous pouvons enregistrer de très forts taux d’empoussièrement sur certaines interventions après sinistre.”
Le sinistre profite au risque amiante
Et il ne faut pas nécessairement un sinistre hors normes comme les récents orages de grêle ou dans un autre registre, l’incendie de l’usine de Lubrizol à Rouen avec ses 8.000 m² de toiture amiante partis en fumée. Yasminka Marcour-Ursa rappelle que chaque année, en France, on recense près de 2 millions de dégâts des eaux, souvent anodins, et en apparence sans danger. En apparence… “Un petit dégât des eaux, non traité correctement, dans un immeuble collectif peut contaminer plusieurs appartements s’il y a du plâtre amianté. Une fois le plâtre séché, il peut devenir pulvérulent et relâcher des fibres dans son environnement.”
“Depuis quelques années, la situation s’est un peu améliorée, les experts et les assurances réclament de plus en plus les diagnostics, mais ils restent insuffisamment formés, poursuit l’experte du Ciefas. Souvent, ils ne savent pas trop quoi faire, alors ils en font parfois trop, ou pas assez.” De sorte qu’ils vont se contenter d’un simple DTA (Dossier technique amiante), lorsqu’il faudrait un diagnostic avant travaux pour ce type de situation. “Les diagnostics de base ne suffisent pas”, prévient Yasminka Marcour-Ursa. De même, l’expert ne sait pas toujours à quel type d’entreprise faire appel: SS3 pour (le retrait d’amiante), ou SS4 (pour une intervention sur un matériaux amianté)?
Le risque amiante après sinistre souffre encore d’une large méconnaissance auprès du grand public, comme des professionnels. Entre des assureurs pas toujours enclins à débourser plus qu’ils ne le voudraient, des particuliers mal informés, des professionnels non formés sur la question du sinistre et même des pouvoirs publics qui n’insistent pas trop sur le sujet, les freins ne manquent pas. “Il existe pourtant des solutions techniques et des méthodes pour intervenir après un sinistre correctement sans risque.” Mais encore faut-il savoir qu’il existe un risque amiante…
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