Le bâti ancien des centres-villes souffre en silence

Les effondrements d'immeubles n'ont rien de singulier. Avant Lille, il y a eu Dieppe (ici en photo), Sanary-sur-Mer ou Bordeaux, en 2021...

L’effondrement de deux immeubles à Lille n’a malheureusement rien d’un cas isolé. Bordeaux en 2021, Sanary-sur-Mer aussi en 2021, Dieppe toujours en 2021, et bien sûr Marseille en 2018, la liste est loin d’être exhaustive. Et elle n’est sans doute pas close. Experte en pathologies du bâtiment, Dominique Boussuge alerte depuis quinze ans sur la fragilité des bâtiments anciens dans les centres-villes.

L’histoire des Trois petits cochons nous a peut-être endormis. Et si la maison en pierre n’était pas aussi solide qu’on l’a toujours pensé? Chaque semaine, quasiment, Dominique Boussuge est alertée par des confrères au sujet de bâtiments en souffrance. Son réseau, les experts Vauban, compte une vingtaine de pathologistes qui interviennent aux quatre coins de la France et qui l’interpellent régulièrement sur des situations à risques. Cela ne signifie pas toujours qu’un immeuble va s’effondrer du jour au lendemain, juste qu’il existe un risque et que des mesures doivent être prises en urgence.

Fragile équilibre

L’experte en ouvrages bâtis n’est pas surprise par l’effondrement des deux immeubles lillois. Elle qui sillonne la France à longueur d’année a constaté combien “le bâti des centre-ville anciens est souvent fragilisé”. Les explications ne manquent pas. Il y a d’abord le temps qui accomplit son ouvrage pour des bâtiments multiséculaires. Il y a aussi la pollution qui altère la pierre, le ruissellement, et surtout, les modifications apportées par les hommes.

Que ce soit des travaux de voirie qui créent des vibrations et peuvent créer une décompression des sols ou des travaux à l’intérieur même du bâtiment. Par exemple pour s’affranchir d’un découpage en petites pièces comme c’était souvent le cas dans l’ancien temps. La tendance est aux grands espaces. “Aujourd’hui, les travaux touchent souvent aux murs porteurs par exemple pour accueillir des cellules commerciales. Mais le bâti repose souvent sur des fondations cyclopéennes et fonctionne avec des points d’équilibre: si on touche aux murs, on déstabilise le bâtiment et on prend un risque.”

La catastrophe survenue à Lille peut servir d’exemple. “Sans préjuger des causes de l’effondrement des deux immeubles, cette situation doit alerter les pouvoirs publics”, poursuit l’experte. Depuis quinze ans, elle alerte les ministres du Logement successifs. L’actuel pensionnaire de l’hôtel de Castries, Olivier Klein, n’y a pas échappé. Dominique Boussuge lui a transmis en juillet un courrier pour l’interpeller sur la situation des centres-villes anciens. Et comme pour les ministres précédents, sa missive est demeurée sans effet.

Cette indifférence vaut pour les gouvernements, elle vaut aussi pour le local. “Parfois, les mairies se montrent réactives, mais en règle générale elles ne sont pas conscientes de la vétusté de leur patrimoine”. Exemple à la clé: “À Paris, dans le 6e arrondissement, nous avons essayé de mettre un arrêté de péril imminent sur un immeuble qui menaçait de s’effondrer, il nous a fallu un an pour aboutir.” Trop d’enjeux, des syndics exsangues qui regardent à la dépense et n’ont bien souvent pas les moyens de mener les travaux, et qui n’ont pas conscience du risque faute d’un diagnostic structurel.

La structure après la thermique

Ce diagnostic structurel, Dominique Boussuge en a fait une véritable croisade. Après tout, le législateur a pensé aux diagnostics pour la performance énergétique, pour le gaz, pour l’amiante, et on en passe, mais il a peut-être négligé l’essentiel selon l’experte. Quinze ans qu’elle milite pour que le diagnostic structurel devienne à son tour obligatoire. Avec les experts Vauban, elle propose une prestation baptisée “SOC” pour “Structure d’origine contrôlée” avec un indicateur qui renseigne au premier coup d’œil sur l’état de l’immeuble: rouge, sauve-qui-peut; orange, il faudra faire des travaux; vert, tout est en ordre.

Car pour Dominique Boussuge, l’effondrement d’immeubles n’a rien d’inéluctable. Un bâtiment ne s’écroule pas du jour au lendemain, des signes avant-coureurs existent qu’un homme (ou une femme) de l’art saura vite repérer. Selon l’experte, des drames pourraient ainsi être évités si on rendait (enfin) le diagnostic structurel obligatoire “à la vente, à la location et dans toutes les copros”. Le législateur a bien prévu un PPT, Plan pluriannuel de travaux, pour répondre à la double problématique de la structure et de la thermique, mais Dominique Boussuge exprime quelques réserves car les pré-requis en matière de compétences ne lui paraissent pas suffisants à ce jour.

L’experte pointe d’ailleurs du doigt un risque avec le grand chantier de rénovation énergétique qui se dessine pour les prochaines décennies. En pensant d’abord et surtout à la thermique du bâtiment avec pour seul souci d’économiser des euros sur la facture, on risque peut-être de faire pire que mieux. “On va masquer des murs et on va encore alourdir la structure”, prévient l’experte qui craint que l’on ne fragilise un peu plus encore le bâti ancien. Dominique Boussuge en est convaincue, comme à Lille, à Marseille, ou à Bordeaux, d’autres immeubles continueront à s’effondrer “tant que l’État n’aura pas légiféré pour la structure comme il l’a fait pour la thermique”.

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