La loi Climat et résilience pouvait sembler ambitieuse en matière de rénovation énergétique, le nouveau quinquennat annonce des objectifs encore rehaussés. Pour sauver la planète, il faudra rénover davantage, et plus rapidement aussi, ce qui laisse présager un afflux de centaines de milliers de chantiers en l’espace de quelques années. Le secteur du bâtiment en a-t-il seulement les moyens? Entretien avec Jean-Christophe Repon, le patron de la Capeb.
Quatre fois plus de travaux financés en 2022 avec MaPrimeRénov’, les artisans parviennent-ils à absorber l’afflux de chantiers?
“Aujourd’hui, à la Capeb, nous comptons plus de 500.000 entreprises sur l’ensemble du territoire, mais seulement 55.000 à 60.000 entreprises qualifiées RGE (Reconnu garant de l’environnement, ndlr). Autrement dit, un peu plus d’une entreprise sur dix est aujourd’hui en mesure de réaliser des travaux financés par MaPrimeRénov’. Cela nous laisse de la marge.
Avec un nombre d’entreprises RGE identique, un peu moins même puisque leur nombre a un peu baissé en 2021, nous avons donc pu absorber les travaux MaPrimeRénov’ dont le nombre a été multiplié par quatre en un an à peine. Aujourd’hui, notre souci est d’attirer davantage nos entreprises dans ce dispositif pour éviter que ce marché de la rénovation ne soit capté uniquement par un petit nombre.”
Quand les ambitions de rénovation se heurtent à la réalité
Qu’est-ce qui bloque? La qualification RGE?
“Oui, sur nos 500.000 entreprises, je suis convaincu que la compétence est là. Mais pas forcément la qualification RGE qui peut se révéler lourde à porter pour un artisan. Aujourd’hui, nous voulons revoir cette qualification, simplifier ce dispositif qui est souvent vécu comme une contrainte. Pour un artisan, les démarches administratives, le renouvellement de qualification à opérer tous les trois ans, le coût aussi parfois, sont autant de freins.
Il nous paraît anormal que cette qualification soit la même pour l’entreprise qui emploie 300 salariés, et pour un artisan travaillant seul. Les exigences ne peuvent pas être identiques. La rénovation ne doit pas profiter seulement aux grosses entreprises, nous devons tenir compte de notre tissu économique avec 95% d’entreprises qui ont moins de 10 salariés.
Pour y remédier, nous avons justement lancé une expérimentation, Oscar, courant 2022 pour permettre à l’artisan d’externaliser cette partie administrative et accéder plus facilement à la qualification RGE. Ce qui permettra de bénéficier d’une offre plus importante pour répondre aux marchés de la rénovation énergétique. “
La loi Climat et résilience annonce plusieurs millions de passoires énergétiques à rénover dans les années à venir. Disposez-vous de la main d’œuvre suffisante?
“La rénovation représente effectivement un énorme potentiel et un vivier d’emplois incroyable pour nos métiers. Durant un an et demi, en période Covid, nous avons réalisé environ 65.000 embauches nouvelles. Cette année, nous devrions enregistrer 50 à 60.000 emplois supplémentaires, uniquement pour faire face à la croissance de l’activité de 4%. Nous parlons de créations d’emplois nettes.
Pourtant si demain, nous voulons répondre au challenge de la rénovation énergétique, avec 700.000 rénovations comme on l’a entendu ces dernières semaines, nous ne sommes plus du tout sur la même échelle. Clairement, aujourd’hui, nous n’avons pas le potentiel pour répondre à de tels enjeux d’autant qu’à la rénovation énergétique s’ajoute aussi l’adaptabilité pour le maintien à domicile des personnes âgées.”
Et dans les années à venir…
“Il y a le principe de réalité. On n’appuie pas sur un bouton comme ça. Il faut trouver à la fois les bonnes personnes, mais aussi les former. Cela prend du temps, deux ans minimum de latence. Aujourd’hui, nous sommes en train de remonter l’apprentissage, nous espérons approcher des 100.000 apprentis formés cette année. Mais il y a quatre-cinq ans, nous avions chuté à 45.000 apprentis par an. On le voit, former des apprentis, monter en puissance, cela ne se fait pas du jour au lendemain.”
Une rénovation geste par geste, mais intelligente
La rénovation massive et globale ne semble donc pas pour tout de suite…
“Nous devons cesser d’opposer la rénovation geste par geste à la rénovation globale. Comme si la première était contre-productive et seule la seconde se révélait réellement vertueuse. Au bout du bout, une rénovation étape par étape menée sur trois à quatre ans, peut aussi être aussi efficace qu’une rénovation globale. Faisons plutôt une rénovation geste par geste intelligente, avec un audit énergétique et une feuille de route dès le départ. C’est la solution que nous portons aujourd’hui parce qu’elle nous semble davantage correspondre au marché et aux attentes des ménages.
Nous devons rester réalistes. Une rénovation globale suggère qu’une personne quitte son logement pour permettre de faire tous les travaux d’un coup -cela semble compliqué en site occupé-, et que le propriétaire sorte 30.000 ou 40.000 euros. Il existe trop de freins aujourd’hui pour permettre à la rénovation globale de décoller.”
La flambée des coûts de matériaux ne représente-t-elle pas aussi un risque pour cette rénovation?
“Cela fait partie de nos inquiétudes. Car la hausse conjoncturelle des prix des matériaux semble durable et nous n’avons malheureusement pas de visibilité à moyen terme. Lors de notre assemblée générale, en avril, le représentant du gouvernement nous a assuré que des assises du bâtiment se tiendraient en septembre sur le sujet, afin de ne pas contrarier la rénovation énergétique. Aujourd’hui, les distributeurs nous garantissent les prix sur 24 heures, ce qui rend très compliqué de tenir un devis. Nous réclamons une solidarité financière de la filière pour que les distributeurs s’engagent aussi pour un mois.
Notre difficulté, aujourd’hui, reste aussi de répercuter justement la hausse du coût des matériaux sur nos factures. On en est loin. Selon un sondage mené auprès de 2.000 artisans, 55% d’entre eux n’ont pas revu leurs prix en 2021. Et sur le premier trimestre 2022, ils sont encore 40% à ne pas avoir touché à leurs prix. C’est pourtant indispensable pour nos entreprises.”
Mais elle risque aussi de rendre la rénovation plus onéreuse…
“N’oublions pas que la flambée des tarifs des énergies rend aujourd’hui cette rénovation bien plus rentable qu’auparavant. Chez bon nombre de ménages avec des revenus moyens, les coûts de l’énergie n’étaient pas suffisamment élevés pour déclencher des travaux.
Il faut désormais trouver de nouveaux produits financiers pour encourager cette rénovation. Quand vous achetez une voiture, vous disposez rarement des liquidités: nous devons arriver à un même système pour financer les travaux de rénovation. Peut-être grâce aux économies réalisées sur la facture énergétique.”
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