Les DPE sont-ils souvent surévalués?

Nouveau coup de canif au DPE. Oui, encore. Krno, jeune structure qui se propose d’éplucher les DPE pour y détecter des anomalies, vient de publier une retentissante étude sur le surclassement courant du diagnostic. Cas flagrant, les biens qui devraient être étiquetés F se retrouvent souvent avec une classe E bien plus favorable.

Ce n’est pas la première enquête du genre à dénoncer la pratique. Pour quelques kWh/m²/an, un logement peut parfois basculer dans une classe plus généreuse. Logique, l’effet de seuil joue. Par exemple, au-dessus de 330 kWh/m²/an, un bien sera classé automatiquement en F ; en dessous, il hérite d’une classe E.

Selon l’étude Krno qui s’appuient sur huit millions de DPE réalisés entre juillet 2021 et avril 2024, de nombreux biens bénéficieraient ainsi d’un surclassement. La jeune entreprise aidée par l’intelligence artificielle et deux chercheurs en mathématiques fournit même des chiffres hyper précis : 5,61% des biens théoriquement classés en E sont potentiellement surclassés en D ; 18,81% des biens théoriquement en F se retrouvent en E et enfin, 6.09% des biens qui devraient être en G sont potentiellement surclassés en F.

Une fraude estimée à 21 milliards d’euros

Forcément, pour un propriétaire bailleur ça change tout. Que son appartement écope d’une classe E plutôt qu’un F, il y gagnera plusieurs années de sursis pour rénover son bien. Les logements en F doivent être interdits à la location dès 2028, mais les E auront encore jusque 2034. Pour un vendeur, c’est aussi l’opportunité de mieux vendre son bien puisque l’étiquette énergétique participe pleinement aujourd’hui à la valeur du bien.

Krno estime que la « fraude » porterait sur 1,3 million de logements à l’échelle du parc hexagonal. En s’appuyant sur les études sur la valeur verte réalisées par les Notaires, Krno arrive à cette conclusion impitoyable: « Le montant total de la fraude au “DPE de complaisance” est estimé à environ 21 milliards d’euros, à travers la surévaluation systémique des prix de vente. » Vingt-et-un milliards d’euros !

La somme est vertigineuse.  Elle doit cependant être considérée avec des pincettes. D’abord, ces effets de bords ne sont pas une révélation, ils ont été déjà documentés par le passé. Si des diagnostiqueurs peuvent parfois délibérément améliorer le DPE de quelques kWh/m²/an pour permettre au propriétaire de grappiller une classe plus généreuse, cette pratique reste difficile à quantifier.

Une pratique difficile à quantifier

Usant d’une autre méthodologie, le Conseil d’analyse économique a déjà planché sur la question dans le passé. Son rapport publié au printemps dernier évoquait également des « ruptures de la distribution des DPE au niveau des seuils entre deux catégories, que la méthodologie du DPE elle-même n’explique pas ». Oui, l’effet de seuil existe bel et bien, mais peut-être pas dans les proportions imaginées par Krno. Si avant la réforme de 2021, 3,9% des DPE semblaient « manipulés », la proportion « la part des DPE soupçonnés d’être manipulés aux seuils diminue de plus de moitié, pour atteindre 1,7% ». Loin de crier à une fraude généralisée, l’étude du CAE estimait au contraire que l’effet de seuil s’était volontiers estompé sous l’effet des corrections successives apportées au diagnostic.

Qui dit vrai ? A l’évidence, selon la méthodologie utilisée et aussi selon le message que l’on souhaite faire passer, les résultats se révèlent bien différents. Sans nier l’existence de diagnostic de complaisance que certains diagnostiqueurs peuvent encore délivrer en toute inconscience, il est bon de rappeler la véritable nature du diagnostic. Le DPE reste une estimation de la performance énergétique établie à partir d’une méthode de calcul standardisée, et non une étude thermique du bâtiment à la précision infaillible. En témoignent d’ailleurs, les légères discordances qui peuvent subsister d’un logiciel à l’autre ou la marge d’erreur concédée aux diagnostiqueurs sur le terrain lorsqu’ils réalisent leurs mesures.

Le DPE reste bien une estimation mais cela n’enlève rien à sa valeur. Après tout, lorsqu’on va chez le toubib, peu importe que le thermomètre affiche une température de 39,6°C ou 39,8°C, cela ne change ni le diagnostic, ni le remède.  

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