Il fait trop froid dans sa maison, la locataire attaque son bailleur

C’est le genre d’affaire qui risque de se répéter, au fur et à mesure que la décence énergétique va s’affirmer. Souffrant d’un “froid anormal” chez elle, une locataire traine son bailleur en justice. La cour d’appel de Rouen lui donne raison: l’insuffisance de chauffage constitue un manquement à l’obligation de délivrance d’un logement décent.

En théorie, le législateur accorde un sursis aux propriétaires de passoires thermiques. Leur logement ne sera plus décent -et donc interdit à la location- qu’à compter de 2025 voire 2028. En théorie… Car avec cette récente affaire, on voit qu’un propriétaire peut d’ores et déjà être condamné lorsque son locataire ne parvient pas à chauffer correctement son logement.

En 2010, lors de la signature du bail, la maison située en Normandie était dotée d’une chaudière au fuel; une grosse chaudière, même, avec une puissance de 53 kW dixit le DPE en annexe du contrat de location. Sept ans plus tard, la chaudière tombe en panne, elle est alors remplacée aux frais des propriétaires, par un nouvel équipement, tout beau tout neuf, mais avec une puissance de (seulement) 22,4 kW. Apparemment, ce n’est plus suffisant pour chauffer à la fois la partie commerciale de la maison, et la partie habitation. Vraiment pas suffisant. Au tribunal, la locataire produit différents témoignages attestant “d’un froid anormal, d’une température anormalement basse alors que la chaudière est allumée et les thermostats des radiateurs ouverts au maximum”.

La décence exige un “chauffage normal”

Les différents experts confirment l’impossibilité de chauffer la maison correctement, dans la partie commerciale comme dans la partie habitation. Une expertise amiable menée en 2019 fait ainsi ressortir “une insuffisance de chauffe liée à la puissance nominale inférieure de la nouvelle chaudière et au nombre insuffisant de radiateurs”. Et quoiqu’en disent les propriétaires, cette insuffisance de chauffe ne peut être attribuée à un mauvais entretien de la chaudière.

Le tribunal judiciaire d’Évreux avait débouté la locataire de ses différentes demandes, mais la cour d’appel de Rouen infirme totalement le jugement. Puisque la locataire apporte “la preuve de l’insuffisance de chauffage dans la partie habitation”, les propriétaires bailleurs ont donc manqué “à leur obligation de délivrance d’un logement décent comportant une installation permettant un chauffage normal”. Car même s’il s’agit d’un bail commercial, la règle relative à l’obligation de délivrance d’un logement décent s’applique à la partie habitation. “Cette obligation est d’ordre public et l’exigence de la délivrance au preneur d’un logement décent impose de comporter une installation permettant un chauffage normal.”

La responsabilité du couple bailleur est donc engagée, il devra indemniser la locataire de “l’intégralité du préjudice qui en résulte”. La cour d’appel de Rouen condamne les propriétaires à verser près de 15.000 euros à leur locataire qui devra se charger d’installer une nouvelle chaudière au fuel dotée de la puissance suffisante. La justice lui octroie également 2.000 euros au titre du préjudice de jouissance: “l’insuffisance de chauffage dans la partie habitation pendant plusieurs années a causé à (la locataire) un préjudice de jouissance”. De quoi inspirer d’autres locataires qui souffrent du froid chez eux parce que même le thermostat poussé à fond, leur logement n’est jamais chauffé correctement.

5 janvier 2023 – Cour d’appel de Rouen – RG n° 21/04620.

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