Le diagnostiqueur a vu l’humidité, il a repéré des traces de xylophages et même un champignon à pourriture fibreuse. Malheureusement, il n’a pas vu la mérule qui infeste la maison. Pouvait-il la déceler sans sondages destructifs? Pas sûr. Mais puisque toutes les conditions étaient réunies, il aurait dû insister sur le risque significatif de mérule. Une erreur lourde de conséquence…
Fichue mérule qui peut infester toute une maison sans qu’on la voit. L’état parasitaire est d’abord affaire de méthode et de minutie. Comme une enquête de police où aucun indice ne doit échapper au technicien, en particulier dans les zones propices au développement d’insectes xylophages et de champignons.
Dans son rapport de 2017, en prélude à une vente, le diagnostiqueur breton a pourtant signalé et localisé plusieurs désordres : une humidité supérieure à 22% à divers endroits de l’habitation, la présence d’insectes xylophages également, des planchers déformés… Dans les combles, il a aussi observé un taux d’humidité supérieur à 22% dans les murs et la volige, la présence d’insectes xylophages et même un champignon de pourriture fibreuse. Côté devoir de conseil, il a recommandé aux propriétaires de se rapprocher d’entreprises spécialisée pour corriger les désordres constatés et traiter les bois attaqués. Chaque pièce a été inspectée, et on ne peut pas dire que l’opérateur n’a rien vu.
Visible ou non visible ?
Malheureusement, quelques mois après la vente, une fois les doublages intérieurs déposés, les acquéreurs découvrent une infestation mérule. Pour l’expert judiciaire, « la maison est affectée d’une attaque parasitaire de type mérule sur sa façade sud, du rez-de-chaussée au premier étage ainsi que d’un développement de champignons de pourriture fibreuse dans les cadres de menuiserie et sous le parquet du rez-de-chaussée ». Aucun doute, l’expert parle d’une « contamination ancienne » qui s’explique à la fois par la conception de l’immeuble ancien et son entretien.
Question : le diagnostiqueur pouvait-il seulement voir cette mérule ? Pour sa défense, celui-ci rappelle qu’il intervenait préalablement à une vente, autrement dit sans pouvoir pratiquer des sondages destructifs. L’expert en convient, sans de tels sondages, l’opérateur ne pouvait deviner la présence de la mérule. Hors de cause donc ? Pas si vite. Car l’expert relève que « les poinçonnements sur les bois visibles sont insuffisants » ; de quoi entacher la méthodologie de l’opérateur, même si « quel que soit le nombre de poinçonnements, (le diagnostiqueur) ne pouvait vérifier les abouts de solive », toujours selon l’expert.
Un risque « significatif » pas assez souligné
Les bois encastrés dans la maçonnerie sont justement un des points d’attention de la norme NF 03-200 qui définit les règles de l’art de l’état parasitaire. Or « les relevés d’humidités réalisés par le diagnostiqueur indiquaient la présence de zones à risques dans les bois encastrés dans la maçonnerie ».
Pour la cour d’appel, « (la société de diagnostic) à défaut de sondages destructifs, aurait dû préciser qu’elle n’a pas pu vérifier l’état des abouts de solive dans la maçonnerie et la présence, le risque étant certain, de champignon de pourriture. (…) La présence de dégradations par de la grosse vrillette sur des bois humides, en partie non accessibles lors du constat, est un indice de risque significatif de développement de champignon de pourriture ». Un risque a pourtant bien été signalé dans le rapport, oui « mais pas de façon claire et suffisamment explicite pour un non-professionnel ». Le rapport attirait « essentiellement » l’attention sur les insectes xylophages.
Un autre indice demeurait dans le plancher du rez-de-chaussée, avec « une très légère trace de contamination en sous-face du parquet ». Avec « un examen très minutieux », elle « n’aurait pas dû échapper à l’attention du professionnel ». La défense du diagnostiqueur s’en trouve à l’évidence fragilisée. Car même si l’erreur ne semble pas flagrante -en première instance, les acquéreurs avaient d’ailleurs été déboutés de leurs demandes à l’encontre de ce cabinet de diagnostic-, la cour d’appel retient que l’opérateur a manqué à ses obligations professionnelles. Elle lui reproche ainsi de ne pas avoir réalisé « sa mission avec toute la minutie et l’attention nécessaires » et de ne pas avoir « attiré l’attention du lecteur de son rapport sur le fait qu’elle n’a pas procédé à des sondages destructifs qui auraient révélé l’infestation, ni sur le fait qu’il existe des indices de la présence de champignons lignivores ».
75.000 euros de réparations
Les acquéreurs qui avaient prévu de gros travaux de rénovation réclament 70.000 euros. La cour d’appel fait toutefois la part des choses : le diagnostiqueur n’aura à payer « que » le surcoût lié au traitement des bois et de la maçonnerie intérieure. Ce qui sous-entend une mise à nu des murs sur une bonne partie de la maison. Ajoutons quelques frais annexes, le diagnostiqueur et son assureur sont donc condamnés à verser près de 55.000 euros au titre des réparations.
La justice retient aussi l’impossibilité de mener à bien la rénovation de la maison acquise cinq ans auparavant, ainsi que son indisponibilité durant quatre mois, le temps de réaliser les travaux d’éradication la mérule. Soit 12.600 euros supplémentaires au titre du préjudice de jouissance.
Le défaut d’attention et de pédagogie dans le rapport de diagnostic se paye cash. Au total, avec les frais annexes, le diagnostiqueur et son assureur se retrouvent à verser près 75.000 euros. Pour l’anecdote, en première instance, les acquéreurs avaient déjà obtenu la condamnation d’un autre cabinet de diagnostic (à hauteur de 27.000 euros), dont le DPE, apparemment trop généreux, ne rendait pas compte de l’insuffisance de l’isolation.
Cour d’appel de Rennes, 1re chambre, 14 mars 2023, n°20-05766.
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